Histoires exquises – 2 –

Ceci est la suite de cette histoire.

Un grondement immense et menaçant réveilla Caracole. En panique, totalement désorientée, les oreilles bourdonnantes, elle se blottit encore plus dans son carton. Après des heures ou des jours de ce calvaire, tout s’apaisa.

Quand elle osa sortir la patte de son cocon protecteur, elle se trouvait dans un hangar plus grand que celui qu’elle avait quitté, ouvert aux quatre vents. Elle huma dans toutes les directions, et partit vers le sud et son odeur iodée.

Elle trottina, se faufilant dans les herbes folles jusqu’à une étendue de sable immense, balayée par le vent. Elle n’avait jamais vu autant de sable de sa vie ! Et du sable chaud, en plus ! Elle passa les trois semaines suivantes à creuser le sable pour y trouver des petites bêtes inconnues, dormir au chaud et enterrer ses crottes à des dizaines de mètres les unes des autres. Elle n’avait jamais imaginé une telle béatitude.

Puis vint une marée humaine telle qu’elle n’en avait jamais vue. Un matin de juin, des milliers d’humains, presque nus, déferlèrent sur sa plage. Ils parlaient des langues qu’elle ne comprenait pas. Les parasols s’envolaient sous les bourrasques, manquant lui perforer le gras ou lui crever un œil. Des centaines d’enfants couraient en tous sens, lui fonçant dessus, armés de pelles et de seaux emplis d’eau, animés d’intentions très ambigües. À contrecœur et ventre à terre, Caracole abandonna sa plage et reprit son périple vers l’intérieur des terres. Où elle fit une rencontre qui allait changer sa vie.

Alors qu’elle cherchait un abri sous une maison sur pilotis, elle vit cinq chats, à l’air plutôt mal nourris mais rigolards, en cercle autour d’un tapis vert. Elle s’arrêta, sur le qui-vive. De toute son expérience, les autres chats n’avaient été que des concurrents, de sales bêtes qu’il faut chasser ou qui vous feulent dessus. Au mieux des pépères qu’elle pouvait tolérer dans un rayon de deux mètres s’ils étaient accommodants. Ceux-là avaient l’air de s’amuser ensemble, et c’était inédit pour elle.

Ils s’arrêtèrent en la voyant passer, puis lui proposèrent, en toute simplicité, de se joindre à eux. N’ayant pas quitté sa campagne pour replonger dans son ancienne routine, elle accepta du bout des moustaches. Sans la brusquer, les matous se présentèrent puis lui expliquèrent leur jeu, qu’ils appelaient “poker”. Une fois les règles intégrées, ils lui donnèrent gracieusement un sachet de graines d’herbe à chat pour qu’elle puisse commencer à miser.

Ils jouèrent ensemble toute la nuit. Au petit matin, personne ne la chassa. Au contraire, on lui indiqua un recoin pour l’heure inhabité. Elle pouvait rester autant de temps qu’elle le souhaitait, il suffisait qu’elle rapporte de temps à autre une prise pour le groupe si elle était bonne chasseuse. Du fond de ses tripes, Caracole savait que ce qu’elle venait de trouver là était plus que ce qu’elle ne pourrait jamais espérer. De manière fulgurante et inattendue, elle venait de trouver sa place dans le monde, accueillie pleinement au premier coup d’œil par une bande de chats errants.

 

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