Quinze centimètres, vingt tout au plus. C’est la distance qui me sépare de la brunette souriante assise à côté de moi dans le bus. Il me semble pourtant que nous habitons sur deux planètes distinctes, qu’un si court trajet passé côte à côte ne pourra pas rapprocher.
Elle est entrée un arrêt après moi et s’est assise à ma gauche. Son amie se tenait près d’elle, debout. Elles n’ont pas tardé à reprendre leur conversation interrompue par leur installation. J’ai tout de suite été captivée par leur langue toute en silences, mouvements, vivacité. Leurs visages et leurs corps tout entiers communiquaient, avec une expressivité tellement intense que je ne pouvais plus détourner les yeux. Impossible de comprendre leurs échanges, elles signent beaucoup trop vite et la plupart des mots me sont inconnus. Je peux facilement deviner lorsqu’elles sont en colère ou enthousiastes, joyeuses ou plus tristes, mais je ne sais rien de ce qui cause leurs émotions. Fascinée par leur monde d’expression corporelle, je me sens comme une intruse découvrant un monde pour l’heure inaccessible.
En les observant ainsi, je comprends que seule ma voisine n’entend ou ne parle pas. Son amie est un peu moins rapide dans ses signes, parait chercher ses gestes et traduire ses pensées avant de signer, elle est certainement entendante et a appris la langue pour sa camarade. Quand l’amie de la brunette descend à son arrêt, celle-ci reste seule, silencieuse, immobile à mes côtés. J’aimerais entamer la conversation avec elle. Entrevoir d’un peu plus près cette culture qui m’est totalement étrangère. Mais je n’ose pas tenter de gestes grossiers qui pourraient la mettre mal à l’aise, ni m’immiscer dans son intimité. Je ne sais rien lui dire, je ne peux rien partager pour l’instant qu’un sourire engageant si d’aventure elle tourne la tête dans ma direction.