La colline du silence – II –

Épisode I

J’ai grandi abrité par l’ombre de mon frère. Né treize mois après moi, il a vite su faire oublier cet écart et m’a surpassé en tout ou presque. Je ne me rappelle pas d’un monde sans lui. Je ne me rappelle pas d’un monde où j’ai été meilleur que lui, ou plus rapide, ou plus précoce. Si je marchais à peine quand il est né, il a galopé tellement tôt que nous étions toujours fourrés ensemble. Nous avons fréquenté la même école. En milieu de primaire, j’ai redoublé pendant qu’il sautait une classe. Pour les professeurs, il devenait l’ainé et moi le second. Il m’aidait pour mes devoirs. Il brillait ; il m’éblouissait et j’en redemandais. Je l’admirais et en retour, son amour inconditionnel me rendait fort, gonflait mon assurance.

Nous avions alors les mêmes amis, nous passions nos fins d’après-midi, nos mercredis et nos week-ends tous ensemble dans la cour de notre résidence. Leader incontesté, son aisance, sa gentillesse et son enthousiasme imposaient avec naturel chacune de ses propositions. Qu’il en parle avec excitation et les caves devenaient des grottes au trésor que nous nous empressions d’explorer. Qu’il se passionne pour un livre ou un dessin animé et nous nous costumions tous pour jouer les actions dans des saynètes improvisées. Parce que nous étions inséparables, son charisme rejaillissait sur moi et je n’ai jamais souffert de solitude ou de mauvaises taquineries.

Je n’ai jamais songé à jalouser ce petit frère qui me servait de modèle et de tuteur. Tout le monde l’aimait et j’étais son premier fan. Les parents m’ont toujours demandé de veiller sur lui, de sorte que je me sentais responsable et digne de confiance. À leurs yeux, je restais le grand frère et s’il était aussi doué, c’était un peu grâce à moi. S’ils s’extasiaient régulièrement sur ses prouesses et non sur les miennes, ce n’était pas grave : je ne pouvais jamais les décevoir et c’était tout ce qui m’importait alors.

Nous avons donc passé toute notre enfance comme des jumeaux dépareillés. Tout en étant ouverts sur le monde, nous nous suffisions l’un à l’autre. En tous cas, il était tout ce dont j’avais besoin pour me sentir complet. Puis il est entré au lycée.

À suivre…

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