Quand Cordelia a compris, vers l’âge de 35 ans, qu’elle ne vieillissait pas au même rythme que ses voisins et qu’elle vivrait probablement multicentenaire, elle se mit en tête d’apprivoiser les humains. De ne pas seulement les côtoyer, les étudier ou traverser fugacement leurs vies, mais de se lier profondément à eux, de trouver les codes lui permettant d’ouvrir leurs cœurs et leurs âmes.
Comme elle disposait de temps à ne plus savoir qu’en faire, elle le leur offrit. Quelques secondes par-ci par-là. Puis des minutes, des heures entières à leur insu. Plus elle passait de temps en leur compagnie, plus ils disposaient de temps de qualité, d’un temps de vie dense, leurs compteurs regonflés par sa simple présence.
Près de Cordélia, les humains sentaient bien, sans se l’expliquer, que le temps semblait ralentir, qu’ils s’ancraient enfin dans un présent étirable à l’envi. Ils répétaient souvent qu’ils ne voyaient pas le temps passer et recherchaient avidement cette plénitude, cette qualité d’être qu’elle leur permettait d’expérimenter. Chaque humain à qui elle se liait devenait une meilleure version de lui-même, comme en pause dans le tourbillon effréné de sa courte existence.
Et Cordélia dans tout ça ? De liens en liens, d’amours en amitiés, de découvertes en partages, elle bâtissait des îlots de sérénité. Même si elle allait au-devant de peines immenses au moment inévitable des adieux, ces liens tissés entre chacun de ces humains et elle lui permettaient de se tenir droite, d’égrener toute la solitude d’une vie en chapelets de perles plus supportables. De vivre, intensément et à son rythme, sur la longue route qui s’étirait devant elle.