Je suis née un matin de février, debout sur un fil au milieu des étoiles qui déjà pâlissaient. Sous mes pieds malhabiles, un fil. Et sous ce fil, le vide. Abyssal, tumultueux, vertigineux. Une vue magnifique pour mes yeux tout neufs. Un gouffre miniature dans le cœur à l’idée de basculer. J’ai grandi en virevoltant sur mon fil. En un éternel et unique mouvement pour me porter et m’équilibrer. Se figer, à cette hauteur, c’est déjà presque mourir.
Avec le temps est venue l’expérience, puis l’aisance. Une connaissance intime des courants aériens, une analyse en continu des variations de la tension du fil, une lecture très fine de l’hygrométrie en altitude en lien avec l’adhérence de l’acier. J’ai tout appris avec un droit à l’erreur minimaliste. Quelques terreurs glacées, de nombreux battements de cœur manqués, mais j’ai toujours su garder le fil. À présent, je papillonne et pirouette sans cesse. Marcher ne me suffit plus, le rêve de voler m’obsède mais je n’ose faire le pas de côté pour le réaliser. Alors j’enchaîne les cabrioles en bord de ciel, souvent les yeux fermés, je change de rythme, je danse ma vie sur mon fil.
Depuis aujourd’hui, je sens des anomalies dans la trame de mon fil. Il me semble mouvant, il se tortille, il glisse. Il semble même s’effilocher par endroits. Toujours courant, bondissant, je m’adapte à ces nouvelles informations. Jusqu’à apercevoir au loin un spectacle sidérant. Je suis arrivée à un bout de mon fil, tranché net. Affolée pour la première fois depuis longtemps, je fais demi tour et remonte le fil jusqu’à oublier cette vision de cauchemar. Si je cours assez vite, il me reste probablement quelques années avant que le fil ne s’affaisse de lui même, ou que j’arrive à son autre extrémité. En attendant, j’ai encore de belles acrobaties à tester, perchée en équilibre sur mon fil.