Le métro s’arrête, les portes s’ouvrent, Lucie respire. Le jeune homme n’est pas descendu. Elle jette des coups d’œil dans sa direction, puis le dévisage carrément quand elle se rend compte qu’il ne la regarde pas. Il est appuyé de profil à droite des portes, prêt à sortir à sa station. Il est plongé dans un roman du cycle d’Hypérion, ses lèvres esquissent de discrètes grimaces au fur et à mesure de sa lecture. Un tressaillement de la joue, des yeux qui s’écarquillent, Lucie essaie de deviner quels mondes il visite le long de la ligne 13.
Elle ne sait pas ce qui l’attire ainsi chez lui. Il est de taille moyenne, les cheveux châtains coupés courts, habillé visiblement sans trop d’efforts avec un T-shirt bleu près du corps et un jean plutôt large. Pas une fois il n’a soulevé ses yeux gris-verts de son livre pour s’apercevoir que Lucie partageait sa rame de métro depuis déjà six stations ; le poète, le consul ou le Gritche sont plus réels pour lui que la jeune femme accrochée à la barre sur sa gauche. C’est peut-être son livre justement, qui lui plait tant. C’est un auteur qu’elle aime particulièrement, elle se sent connectée à quiconque lit ses mots.
Quand, arrivé à la Fourche, il lève la tête vers l’indicateur de destination et sort précipitamment, Lucie n’a pas le temps de réagir. Il y a trop de monde dans la rame et il est descendu au dernier moment. Elle le voit sur le quai attendre un métro en direction de Saint-Denis tandis qu’elle poursuit vers Gennevilliers. Au bond qu’a fait son cœur en le voyant partir comme ça, Lucie sait qu’à partir du lendemain, elle se trompera volontairement de destination, jusqu’à finir par le croiser. Dans le doute, elle gardera toujours sur elle Terreur, l’autre roman de Simmons qu’elle a tant apprécié, son adresse mail et son numéro de téléphone soigneusement notés sur la première page.