Le voyage de noces du moustique

C’est le début de l’été, et le moustique vient de convoler en justes noces. Avant que sa dulcinée ne commence le travail, il entend bien partir en voyage de noces. Il a déjà tout prévu, le voyage sera plaisant. Il faut savoir que chez les moustiques, ce n’est pas tant la destination du voyage -qui est somme toute aléatoire- qui compte, mais le voyage en lui-même. Et le choix du moyen de transport est primordial. Si l’on veut voir du pays, il faut choisir un globe trotter, mais un globe trotteur mal organisé, qui n’a pas d’arme de pointe contre les insectes nocturnes suceurs de sang. Si l’on veut rester en vie et profiter à deux du voyage, il faut éviter les gens qui partent trop au nord où il fait froid, les empoisonneurs, les prévoyants, les fumeurs qui ont si mauvais sang… Le mieux est un enfant sans défense, soit manchot, soit très jeune et avec des mouvements désordonnés. Le moustique a repéré une colonie d’enfants handicapés qui doit partir une semaine dans les Pyrénées. C’est parfait pour eux, ça… Ils ne connaissent pas la montagne, ce sera l’occasion. Pour économiser leurs forces, il leur suffira de se poser quelque part dans le minibus, et le bruit du moteur couvrira leurs envolées coquines. Presque aucun risque de se faire prendre, des vacances en toute sécurité.

Lorsque tout est parfaitement au point, le moustique court prévenir sa belle de son programme si parfait. Au moment où il la voit, il comprend que tout est fichu. Il a été trop enthousiaste la nuit de ses noces, la belle est déjà enceinte (il comptait sur le voyage pour s’occuper de cette triste formalité). Et comme tout le monde le sait, la femelle moustique enceinte fuit le mâle comme la peste, préférant se gaver de sang pour mériter la médaille de la meilleure mère qui soit. Le moustique prend sa décision en un instant. Il partira seul en voyage, ce sera l’occasion, qui sait, de trouver une nouvelle amante, attirée par les proies faciles dont il sera entouré.

Au conditionnel

J’en entends souvent se promettre de s’aimer toujours, que la vie ne les séparera jamais. Moi, je ne t’aimerai pas toujours d’un amour inconditionnel, quoi qu’il arrive, quoi que tu fasses. Je t’aime tel que tu es, maintenant. Ca ne veut pas dire que si tu ne changes jamais, je t’aimerai encore dans un an, deux ans, dix ans. Peut être que oui. Et peut être que non, je ne sais pas. Parce que moi je vais changer. Inévitablement. Je ne sais même pas si aujourd’hui, j’aimerais la “nouvelle moi” si je la rencontrais. Mais je te demande à toi d’être à même de l’aimer quand elle arrivera. Ou pas. Peut être qu’à ce moment-là, ça n’aura pas d’importance.

Aujourd’hui, je pourrais penser des « toujours » qui s’effaceront avec le temps. Ou qui resteront, mais seul le temps pourra résoudre cette équation. D’un côté, la routine, nos envies à deux qui redeviennent les envies de chacun, l’appât de la nouveauté, la lassitude, l’agacement, la mauvaise humeur de chacun qui se laisse voir petit à petit, les doutes qu’on garde pour soi, l’envie de liberté qui ne se conjugue plus à deux. De l’autre la complicité, la confiance, le respect, les amis communs, la compréhension, la place dans la famille, les matins câlins, les projets qui nous emmènent toujours en avant, la découverte de nos limites et leur franchissement, et une bonne dose d’humour.

Parce qu’il n’est de « bonne personne » qu’au bon moment, et que c’est à nous de nous donner les moyens de prolonger ce moment, tant qu’on estime que le jeu en vaut la peine…

C’est compliqué

Tenir sa fourchette, d’une seule main. Mettre dessus en équilibre plus ou moins stable un peu de nourriture. Monter le tout, lentement ou au contraire très rapidement, jusqu’à sa bouche. Ouvrir celle-ci et calculer la trajectoire exacte de la main pour que la fourchette entre dans la cavité ainsi créée au moment où elle est la plus grande. Refermer la bouche, attraper les aliments déposés sur la fourchette sans en oublier et ressortir la fourchette. Bien mastiquer, penser sa respiration pour qu’aucune particule de nourriture ne puisse passer dans les voies aériennes. Avaler lorsque la bouchée est réduite en morceaux assez petits.

Recommencer, à chaque fois, doser précisément la force exacte nécessaire à chaque étape, la juste trajectoire, le geste adapté. Finir son assiette en s’aidant de son couteau ou sa cuiller (attention à bien coordonner ses deux mains). Et c’est le même manège trois fois par jour.

Se nourrir, un geste simple, banal, habituel et nécessaire. De notre point de vue. Mais pour Gustave, nonagénaire, et Myriam, deux ans et demie, cette expérience mobilise toute leur concentration. Dans le cas contraire, l’accident arrive vite, avec des conséquences différentes mais au final, la même frustration.

Le film de la veille

Quentin arrive à l’école de bonne humeur, mais très vite, il se sent mis à l’écart de sa classe. Tout le monde parle sans l’écouter de ce qu’ils ont fait hier, comme tous les matins en arrivant. Et tous les matins, Quentin se sent seul.

Il voudrait leur dire qu’il a vu un film super au cinéma, qu’avec sa famille il teste tous les mois un nouveau jeu de société, qu’il va au cirque à chaque fois qu’il passe en ville et qu’il visite souvent des expositions, des musées ou des zoos. Il est plutôt content de sa vie, il s’amuse bien et l’ambiance est souvent chaleureuse à la maison. Mais personne ne l’écoute.

Aujourd’hui, toutes les discussions tournent autour de « Quatre mariages et un enterrement », le film qui passait à la télé hier soir. Et les parents de Quentin n’ont pas la télé. Et surtout, les amis de Quentin n’ont pas envie de parler de ce qu’il fait lui, parce qu’eux ne font pas des choses aussi géniales. Il a beau se dire que c’est uniquement par jalousie qu’il est mis de côté comme ça, aujourd’hui, comme tous les matins, Quentin en veut à ses parents de ne pas être comme tout le monde. Non pas qu’il ait vraiment envie de télé. Quand il va chez des amis, il regarde quelques émissions, surtout des jeux télévisés ou des dessins animés, il trouve ça drôle sur le moment, mais à la maison il préfère jouer à cache-cache, faire de la peinture ou du patin à roulettes. Seulement, il voudrait participer aux conversations le matin. Au lieu de quoi il joue à la corde à sauter ou à la marelle, seul en attendant que les autres aient fini de parler et sortent le ballon de foot.

Comme si c’était hier

Je me souviens de la première fois comme si c’était hier. La seconde fois me parait plus floue, comment était-ce déjà? J’ai complètement oublié les deuxième, troisième, quatrième fois et toues les autres, pour ne me souvenir maintenant que de la dernière fois, voire de l’avant-dernière, mais pas plus.

La toute première fois, donc, j’avais vingt deux ans, et je m’étais laissée convaincre par un ami. Je n’avais pas trouvé cela terrible, mais par fierté je n’en avais rien dit. Pour l’occasion, il m’avait présenté à de nombreux amis que je ne connaissais pas encore et jamais je n’aurais avoué ma gêne devant eux. Et heureusement, car c’est cela qui m’a permis de dépasser mes doutes et mon manque de confiance en moi, et de revenir. C’est grâce à cette fierté mal placée que j’ai vécu par la suite de nombreuses séances enrichissantes et que je me suis liée avec des gens aussi sympathiques.

Mais je m’égare. La première fois que cet ami m’a amenée au club, j’avais un peu peur mais j’étais curieuse, en quête de nouvelles expériences, même si à vingt deux ans je ne pouvais pas me considérer comme blasée. En voyant les performances des autres, j’ai été anxieuse, puis excitée à l’idée de faire pareil. Et puis ça a été mon tour, et celui de mon ami. Nous sommes montés ensemble sur scène. Nous avons improvisé vaille que vaille quelque chose sur le thème « Un matin de trop », je suivais ses propositions sans oser me mettre en avant, et puis sans que je m’en rende compte, la chute était là, le « public » applaudissait. J’en suis ressortie soulagée, et frustrée. Soulagée, je n’avais pas bafouillé, je n’étais pas (trop) restée empotée sans bouger, mais terriblement frustrée de n’avoir rien fait par moi-même, de n’avoir pas vu passer le truc, d’être restée passive, tout compte fait. J’ai passé la suite de la séance sans remonter sur scène, disant simplement que j’avais eu assez d’émotions pour la soirée, mais je me suis régalée devant toutes les situations inventées au fur et à mesure par les comédiens.

Et maintenant, j’ai  toujours plaisir à monter sur scène, avec ou sans public, pour improviser au gré des envies du maître de cérémonie des saynètes sur tous les thèmes possibles et imaginables.