Il y a la grisaille, le quotidien, la fatigue, les frustrations. Il y a parfois un lever de soleil orangé sur le canal. Il y a les heures trop courtes, les échéances qui tombent en pluie, la course à la vie, les on n’en voit pas le bout. Et puis il y a le sourire franc et sincère d’un inconnu croisé au hasard d’une rue. Il y a la routine, l’ennui, les humeurs maussades et les vague-à-l’âme. Et là, il y a un coquelicot qui éclate en éphémère joie sur le bord du chemin. Il y a les larmes, les doutes, les creux de vague, la solitude. Il y a alors le ronron d’un chat roux au réveil. Il y a les trucs qui ne marchent pas, l’agacement, l’éloignement et la promiscuité. Il y a l’odeur d’une tartiflette qui grille dans le four. Il y a une rixe dans la rue cette nuit, du sang sur le trottoir ce matin, les poubelles qui débordent, la caisse du chat à changer. Il y a juste là la douceur d’une caresse et la chaleur de bras câlins. Il y a l’œuf trop cuit sur la pizza, le dessert qu’on convoitait commandé par le client juste avant, la dernière bouteille de lait finie avant le petit déjeuner, vingt minutes de pubs avant le film. Il y a également des heures de partage dans un groupe accueillant. Il y a l’odeur de cigarette le matin dans la rue, le bus en retard, le bus en avance, le bruit des voitures tout le long du trajet. Mais il y a trois minutes de danse en accord parfait avec son cavalier. Il y a le téléphone muet, des factures dans la boîte aux lettres, les cris des enfants dans le train, un incident voyageur dans le métro. Il y a surtout une deuxième brosse à dent dans la salle de bain et ta tête sur l’oreiller.
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Mes textes préférés
Il était deux fois
Il était deux fois un petit garçon qui rêvait d’un jour atteindre la lune. La première fois, il prit un bonbon magique qui le fit grandir, grandir jusqu’à passer la tête par-dessus les nuages. Il attendit la nuit et tendit la main pour cueillir l’astre de ses rêves. Il attrapa d’abord un satellite, se rendit compte de son erreur, et le remit délicatement en place. Il tendit la main plus loin, essayant de s’agrandir encore un peu. Mais aussi fort qu’il tentait, sa main n’atteignait jamais la lune. Alors le petit garçon reprit sa taille en pleurant toutes les larmes de son corps.
La deuxième fois il se propulsa à travers le ciel grâce à un canon ultra-puissant. Il était bien équipé et ne risquait pas grand chose avec son casque, sa combinaison spatiale à sa taille et ses réserves d’oxygène. Mais le petit garçon qui rêvassait parfois pendant ses leçons avait fait une petite erreur de calcul. Son canon le propulsa bien dans le ciel par-delà l’atmosphère terrestre, mais il n’atteignit jamais la lune. À l’heure qu’il est, je crois qu’il tourne encore en orbite autour de l’objet de sa convoitise. Ainsi donc, il ne sera jamais trois fois.
Je voudrais bien crever
Je voudrais bien crever
Sur un malentendu
Presqu’ inopinément
Esquiver sur le fil
L’heure des derniers bilans.
Ne pas rendre de comptes
Sur ce que j’aurais fait
Ce qu’il fallait mieux faire
Et ce que j’ai pas fait.
Ne pas me justifier
Des tâches inachevées
Fauchée en plein essor
Tous les possibles encore
On peut imaginer,
Le suspense reste entier
Que tout finissait bien
Il manque juste la fin.
Je voudrais bien crever
Comme tout un chacun
Avant d’en arriver
À l’heure du grand déclin.
Ne pas finir la danse
Privée de tous mes sens
Je veux crever avant
La trahison du corps
La raison qui s’émiette
La trahison des miens
Qui montent dans le train
Me laissant sur le quai
Sans larme à leur donner
Pas question de rester
La seule à tout ranger
Quand la fête se finit
Être la première partie
Rater la fin du bal
Avant qu’il ne s’emballe
Éviter les adieux
Éviter de compter
Qui part et qui s’accroche
Je veux partir d’abord.
Je voudrais bien crever
Avant d’avoir en bouche
Cet arrière goût terreux
Que j’imagine amer,
Avant que ne s’impose
À mes sens déclinants
La terreur grandissante
Le spectre qui s’approche
Avant d’être écœurée
À trop anticiper
Dans un ultime effort
La saveur de la mort.
ADN en partage
Petite fille penchée sur mon berceau, tu m’as offert bien plus qu’un don de bonne fée. Un amour incompréhensible, inconditionnel, irraisonnable. Tu es là depuis le début, tu as vécu avec moi un bon nombre de premières fois : premiers sourires, premiers pas, premiers mots, premiers cauchemars. Tu as vu aussi pas mal des suivantes. Tu suis ma vie, je suis la tienne, on n’est jamais bien loin l’une de l’autre, pour se soutenir, se rattraper, se réparer. S’entraîner, s’élever, s’ouvrir.
On partage tellement plus que des fragments identiques de doubles hélices, que “des paires de gants, des paires de claques”, même s’il y en a eu, c’est vrai. Aussi bien des gants (et des T-shirts, des chaussettes, des jupes, des écharpes, des pulls, des chaussures…) que des claques (…). Si souvent tu as apaisé mes “peurs du noir”, et séché mes “joues mouillées”. Je t’ai rendu la monnaie et ai soigné ton cœur meurtri, t’ai poussée à assumer ce que tu voulais. Tu m’aides à y voir clair, tu me rends la vie ensoleillée. Je te sers de coach à l’occasion, je suis honnête parce qu’on peut se le permettre. Tu es ma béquille, je suis ton tuteur. Ou l’inverse. Et l’inverse.
On peut s’en prendre à la vie de nous avoir trop tôt séparées. Je peux aussi lui dire merci de nous avoir si intimement liées. Une complicité à toute épreuve, des retrouvailles débordant d’enthousiasme, aucune lassitude. Des embrouilles de gamines, du chantage, de la jalousie, des réconciliations, des fous rires, de la proximité, des chatouilles, des secrets partagés, de la télépathie. Tourbillon concentré sur deux jours, nous avons vécu toute notre enfance en accéléré. Pas de quotidien partagé, mais des rites inventés, pour faire oublier l’absence intolérable, pour faire déborder comme un raz de marée cet amour qui me parait durer depuis toujours et que je n’imagine pas perdre avant la fin.
Tu n’es pas “la moitié de moi”, tu n’es pas mon amie. Tu n’es pas un double, un miroir. Âme sœur s’il en est, tu es le roc inébranlable, inamovible, qui restera à mes côtés lorsque, les années passées, nous ferons le bilan de nos vies. Dans le chaos ou le monde stable que nous avons fabriqué, tu es ma seule certitude.
Fait d’hiver
Le froid est mon manteau, mon corps est fait d’hiver. Sec ou ruisselant selon mes humeurs, je gèle et m’infiltre en vous pour m’approprier toute chaleur. Je suis le blanc bienfaisant recouvrant la nature quiescente, lui offrant le repos nécessaire à son perpétuel renouveau. Je suis l’inopportun que l’on laisse à la porte lorsque grelottants, vous vous chauffez au feu et aux grogs. Calme et serein, je vous apaise grâce au dénuement dont j’orne les paysages. Je sais aussi par ma colère vous rendre l’humilité qui vous fait parfois défaut. J’arrête impunément vos activités, vous rendant pour un temps votre place précaire parmi les êtres éphémères. Pour cette raison vous m’admirez. Dès votre plus jeune âge mes flocons vous émerveillent, leurs tourbillons incessants vous rendent philosophes et ma poudreuse vous invite à recréer sans cesse les mêmes jeux, parenthèse d’innocence dans vos vies accablées. Inéluctable, vous m’attendez autant que vous me détestez, et bien souvent, vous préférez le moment où, sagement, je cède la place au printemps.