Je compte. Je planifie, je quantifie, je classifie. Tout ce qui peut l’être. Tout ce qui devrait l’être. Combien d’argent dans le mois ? Où va-t-il, à quoi pourrait-il servir ? Combien d’heures dans la semaine ? Comment les dépenser, à quoi les allouer ? Combien de calories ? De celles qu’on mange à celles qu’on dépense, est-on débiteurs ou créditeurs ? Combien d’amis ? Peut-on les hiérarchiser, qui prioriser ? Combien de tâches à accomplir ? Les urgentes, les importantes, les divertissantes, comment les organiser ? Combien de souvenirs ? Entre ceux qu’on ressasse, ceux qu’on oublie trop vite et ceux qu’on modifie au gré du temps, auxquels se fier ? Combien d’étoiles autour de moi ? Les brillantes, les déjà mortes, les naissantes et celles qu’on ne verra jamais, comment appréhender cet infini ? Combien de chemins puis-je emprunter ? Comment prévoir leurs méandres biscornus ou monotones depuis le croisement où je me trouve ? Combien de feuilles sur cet arbre ont-elles poussé depuis hier ? Combien de conséquences pour dix minutes de retard ? Combien de trains chaque jour pour combien de destinations ? Combien de kilomètres pour rejoindre les malouins, les andalous, les inuits ? Combien d’années avant les premiers mots, les premiers poils, le premier amour, le premier métier ? Combien de séances pour ce film avant qu’il ne soit déprogrammé ? Combien de cheveux blancs depuis la dernière épreuve, combien avant la première coloration ? Les listes, les tableaux, les cases s’enchainent, la calculatrice jamais ne dort. La vie ainsi fait mine de s’ordonner, de se mettre à portée mais ne se laisse que rarement dompter. Alors je la compte, l’inventorie, la trie, la caractérise pour la saisir de mes dix doigts.