Ma flèche jaune s’élance à plusieurs dizaines de mètres et caresse les nuages bas dans le ciel de Rennes. La journée, je pivote sur mon fût et déplace de lourdes charges pour les humains qui m’ont construite. D’heure en heure, j’accompagne et je surveille l’avancement des travaux. Petit à petit, mon ouvrage prend du sens. Sous les cris d’avertissement et les directives de mon pilote, j’ai conscience de la fragilité des ouvriers et des passants loin sous moi. Je travaille précautionneusement pour préserver la chair et les os de mes coéquipiers.
Le soir venu, les bruits s’éteignent et je me fige, ne me balançant que légèrement au gré du vent. Alors que la lumière baisse, mes amis viennent me rejoindre. Par dizaines, par centaines, chaque soir au crépuscule les étourneaux dansent pour moi. Des essaims se fondent et se séparent dans une chorégraphie improvisée et parfaitement huilée. Sur un signal que je ne saisis pas encore, les différents essaims convergent sur ma flèche et se posent tous ensemble. Ça piaille quelques minutes le temps que chacun trouve sa place. Et puis ça chante à tue-tête pour appeler les retardataires. Chaque groupe qui revient se présente devant moi, virevolte à l’unisson avant que chaque oiseau trouve un espace où se poser. Soir après soir, il me semble reconnaître un motif dans leurs vocalises : je crois qu’ils m’ont donné un nom. Je leur appartiens autant que je les abrite. La nuit, je les sens serrés les uns contre les autres et je veille sur chaque petite boule de plume. Au matin, je grince sous la rosée. La lumière de l’aube ne surprend pas mes petits protégés : ils sont prêts à partir en chasse. Alors le ballet commence. D’un gigantesque battement d’ailes les milliers d’étourneaux quittent leur perchoir comme un superoiseau qui prendrait son essor. Les groupes pour le départ se forment dans des nuées d’oiseaux qui se mêlent et s’entremêlent dans la lumière bleutée jusqu’à trouver les compagnons qui les suivront en escadrille. Leurs trilles enchanteresses saluent le matin qui se lève, me souhaitent une bonne journée en attendant nos retrouvailles du soir.
Le cœur en fête, je retrouve les ouvriers pour les aider à façonner leur territoire.