Après la fin de l’histoire

Je vais vous raconter la suite. Tout bas, au creux de l’oreille si vous me laissez approcher, je vous dirai les petits riens et les grands événements qui ont eu lieu depuis que j’ai fermé la porte de l’armoire, il y a dix ans déjà.

La dernière fois que vous m’avez vue, je venais d’être vomie par un immense reptile dont j’ai chatouillé l’estomac à coups de genoux. Dégoulinante de sucs gastriques, vous m’aviez alors aidée à m’enfuir, m’indiquant le chemin pour retrouver l’armoire et, in fine, le foyer. Je n’étais pas revenue depuis.

Ici tout a changé et pourtant j’ai l’impression d’être partie hier seulement tant tout est familier. Tout juste sortie d’un rêve récurrent. Chez moi, le temps file très vite. Je viens de partir mais j’aurais du mal à me réajuster si je devais revenir de suite. Bref. La suite.

En rentrant, j’ai dansé. Beaucoup. Seule dans ma chambre, en groupe en discothèque, avec différents cavaliers dans les bals populaires et les fêtes des villages. J’ai tenu des enfants dans mes bras, je les ai fait tournoyer et rire aux éclats. J’ai serré fort contre mon cœur un chat transi de froid et ronronnant. J’ai pleuré quelquefois. Des deuils, surtout ces dernières années. Des larmes de fatigue, de découragement, de frustration. De nostalgie aussi, quand le cœur gonfle de trop de beauté et déborde aux paupières. J’ai chanté. Faux et à tue-tête, fredonné discrètement dans les files d’attente, en concert les yeux fermés ou en sautant dans toute la maison. J’ai cuisiné des heures durant des plats délicieux pour tenir chaud à mes amis le temps d’une soirée trop vite passée. J’ai regardé pousser des arbres, j’ai mis en forme un jardin, sans relâche. J’ai cherché la beauté en toute chose et, souvent, je l’ai trouvée. En dix ans, j’ai aimé. Profondément. Un amoureux, des amis. Je me suis attachée, l’air de rien, telle une liane autour des êtres qui me façonnent et m’enrichissent. Après les éclats extraordinaires et les vaillants combats que nous avons traversés ensemble, j’ai découvert la tendresse et j’ai apprécié. J’ai travaillé, avec ténacité, laissant glisser les jours sans les distinguer les uns des autres. J’ai eu peur, aussi. Plus que je n’ai jamais eu peur ici, dans le temps. J’ai été impuissante et terrorisée devant ce que je ne pouvais maîtriser. J’ai rêvé, j’ai composé, j’ai, un peu, modelé le monde à mon image. J’ai ri, en grands hoquets incontrôlables ou plus sobrement. J’ai crié, trop peu, alors que c’est tellement puissant, un cri qui sort du bide et accroche la gorge. En fermant la porte de l’armoire, j’ai grandi, je crois. Et puis j’ai vécu.

La voilà, la suite. Que dire de plus ?

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