“Faites de votre mieux, dans tous les cas, vous ne pourrez pas tout maîtriser”
Et si je n’arrive pas, moi, à faire de mon mieux ? Si je me connais assez pour savoir que “mon mieux”, je ne peux pas le tenir sur un an, que c’est trop me demander ? Et si je sais pertinemment que tout ce que je peux faire ce ne sera pas encore assez, au regard de mes propres exigences ? Mais que quand même, je pourrais bien en faire un poil plus que maintenant ? C’est quoi un poil, au final ?
“Faire de son mieux”, quelle malédiction ! Pire encore que celle d’avoir une vie passionnante… Sur quelle échelle objective “faire de mon mieux” se situe-il ? Avant ou après le stress qui me réveille à 4h et me laisse me rendormir cinq minutes avant que le réveil sonne ? Avant ou après les semaines d’isolement pour avoir une chance de me concentrer un peu ? Avant ou après avoir épuré ma chambre de toute distraction pour finalement me coucher à 22h parce que les tartines de texte écrites en 8, ça m’épuise ? À combien de nuits bien grignotées pour potasser ? Ça suffit, deux, ou c’est pas encore “mon mieux” ? Avant ou après l’eczéma entre les doigts, sur les coudes, les chevilles ? Avant ou après l’engloutissement quotidien d’une tablette de chocolat, même pas pour le goût, juste pour l’éphémère apaisement ? À quelle couleur de cernes, à combien de cheveux blancs ? Avant ou après la culpabilité sourde à chaque minute passée à glander ? Richter, si tu pouvais m’aider un peu, ce serait pas de refus… Tu le situes où, toi, “fais de ton mieux”, sur ton échelle ?
Alors, comme ça, je pourrais rater si près du but parce que j’ai vu le dernier film de Ben Stiller (mais raté le dernier Miyasaki), cherché une musique sur internet (et créé trois playlists dans la foulée), découvert un blog, lu un énième article féministe/écologiste/politique ou épluché les informations ? Parce que j’ai profité d’un matin câlin, d’un repas de famille ou d’une soirée entre amis, joué avec mes chats et regardé pousser mes plantes ?
Et même si je fais vraiment de “mon mieux” (au pire, ça ne mange pas de pain de le dire), je pourrais rater quand même, non ? Pas de réussite assurée, c’est pas “agrégée ou remboursée”, cette année… Juste moi qui évaluerai à postériori tout ce que je n’ai pas assez fait pour assurer mon succès, tous les instants à côté desquels j’aurais dû passer pour imbiber quelques gouttes de savoir en plus dans mon cerveau éponge ? Alors même que je sais que je ne retiens que ce qui m’intéresse (et surtout pas les formules, gentiment consignées dans les bouquins de référence), je serais capable dans six mois de m’en vouloir pour une vidéo de bébé panda ou une grasse mat’ de trop.
“Détendez-vous, ça ne sert à rien de bosser comme des fous si vous craquez au dernier moment.”
Oui, mais se détendre, c’est justement réussir à oublier que le travail s’entasse. C’est accepter que chaque heure passée sans travailler, c’est une notion de plus qui ne sera pas maîtrisée, c’est laisser passer sciemment une chance d’approfondir un point problématique, c’est assumer pleinement que ce mécanisme, non, on ne le connaîtra pas le jour J.
Je crois que finalement, c’est bien le plus dur à apprendre, cette année. Se détendre. S’insoucier. Se dé-soucier, même. Quand ça a coulé de source pendant plus d’une décennie parce que sans conséquence aucune, quand ça devient un enjeu, tout d’un coup, je ne sais plus faire. Alors je regarde le temps passer. Bientôt, de toute façon, tout ça sera derrière moi. Il me suffit d’attendre. Et de faire de mon mieux.