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Tu as semé des bouts de “je t’aime” un peu partout dans la maison. Je les découvre un à un qui murmurent à mon cœur et atteignent mes tripes. Un livre que tu as fini mais pas encore rangé. La vaisselle sur l’égouttoir avant que je ne fasse à manger. Le coussin tassé à la forme de ton dos. Le linge étendu à la va-vite parce que tu détestes ça. Un bol de céréales terminé qui attend dans l’évier. L’appartement rutilant quand je rentre de voyage. Des objets déplacés juste pour me faire rire. Ton odeur sur la serviette de bain. Les chats nourris qui paressent sur le sofa. Des yaourts dans le frigo, des bonbons dans le placard. Et du lait par douzaines parce qu’il me faut du stock. Le T-shirt posé juste à côté du panier pour me faire râler. La musique en rentrant, le café coulé. Les tomates cerises patiemment plantées, les meubles qui attendent leur tour pour être réparés. Et une caisse de Bourgogne gentiment déposée en vue dans mon bureau.

Pas besoin de mot sur le frigo, de déclaration passionnée.

La maison me transmet tes messages, ressort chaque jour tes bouts d’amour. Provoque et reçoit, complice, mes sourires, mes rires et autres soupirs par tant d’attentions, de présence et de gaité provoqués.

La mémoire qui flanche

J’ai déjà oublié vos noms. De ces quelques semaines passées avec vous, ne me resteront que quelques têtes. La mignonne petite rouquine du premier rang avec ses grands yeux avides de savoirs. L’original, toujours dans la lune, avec ses questions inattendues mais si souvent pertinentes. Le jeune homme timide qui avait fait mine de ne pas me reconnaître en me croisant au hasard d’une rue. De son prénom à lui, je me souviens. Un groupe de trois avec son “bon élément” un peu étourdi mais toujours prompt à aider ses deux comparses. Les deux minettes, très sympathiques au demeurant, qui exprimaient toujours si fort leur envie d’être partout ailleurs qu’en cours. Je me souviens aussi de ce binôme de choc, où l’un pensait être le cerveau donnant des ordres aux petites mains alors que les mains en questions savaient tellement mieux réfléchir par elles-mêmes.

En revanche, j’ai déjà oublié les traits de la jeune demoiselle qui a fondu en larmes à l’annonce des résultats des examens du semestre précédent. Ceux de l’étudiante prise de panique pendant l’examen. Ou les visages des étudiants stressés qui ont vaillamment exposé leur exercice avant de répondre à mes questions. J’ai oublié qui s’en sortait, qui se trompait, qui était seul, qui écoutait, qui était timide ou bien charismatique. J’ai oublié tous ces détails pourtant très importants à vos yeux.

Mais je me rappelle le cœur qui cogne. Je me rappelle les yeux qui survolent tout, à l’affut du moindre souci, d’une incompréhension, d’une muette approbation. Je me rappelle l’euphorie et l’épuisement en sortant de la salle derrière vous. Je me rappelle que j’ai aimé chaque séance passée en votre compagnie et qu’il me tarde d’un jour recommencer.

Mea culpa

Dans mon rétroviseur il y a tellement peu de regrets que je peux les compter tous, et tu as le privilège non négligeable d’en faire partie. Si je devais revivre ma vie, je referais presque tout, quasiment à l’identique. Non pas que je n’apprenne pas de mes erreurs, mais elles m’ont apporté au final plus de bien que de mal. Et j’espère avoir donné moi aussi un peu plus de bonheur que de malheur.

De toutes mes ruptures, venant clore aventures, histoires de cœur ou de corps, il n’en est au final qu’une dont je regrette la forme. Six ans après, je repense encore parfois à toi. Deux mois de printemps, une histoire en toute légèreté. Innocente et naturelle, une histoire qui fait du bien, une histoire facile à vivre. Deux mois de pur plaisir. Plaisirs des corps, danses, rires, conversations nocturnes, cuisines, musiques. Et j’en oublie peut être encore. Avec les ans, la mémoire s’émousse un peu.

Alors, bien sûr, on n’avait pas parlé d’amour, nous n’en étions pas là. Et je ne nous en ai pas laissé le temps, je suis partie avant. C’est vrai que c’était voué à l’échec, c’est vrai qu’on n’avait pas d’avenir. Perdu pour perdu, il valait mieux arrêter tôt, ne pas prendre le risque de se faire encore plus de mal un peu plus tard. S’il n’y avait eu que ça, alors très certainement tu m’en aurais moins voulu. S’il n’y avait eu que ça, alors c’est sûr, je m’en voudrais moins aujourd’hui.

Au final, celle qui m’a remplacée était bien mieux pour toi. Je persiste à croire que sans mon passage éclair dans ta vie, vous vous seriez attendus bien plus longtemps. Jalousie et compassion sont de puissants moteurs, ne les sous-estimons pas. Celui qui t’a suivi m’a rendue malheureuse. Est-ce que ça te console, est-ce que ça allège ma culpabilité?

Bien sûr, à force de chercher, de tâtonner, de tenter à chaque occasion, j’ai trouvé quelqu’un avec qui partager mon quotidien de la plus agréable façon qui soit. Quelqu’un qui justifie chacune de mes erreurs me guidant jusqu’à lui. On pourrait croire alors que le reste n’a pas d’importance. Et pourtant… À toi j’aurais aimé ne pas faire de mal. Ou t’en faire moins, ou différemment, ou pour de meilleures raisons.

J’aurais aimé te donner des explications satisfaisantes. Pas nécessairement bonnes (en existe-t-il vraiment?) mais sincères, plausibles, justes. Pour cela, il aurait fallu que moi-même je comprenne. Que consciemment je réalise que de me savoir avec toi avait blessé mon ex. Que je n’assumais pas la peine supplémentaire que je lui infligeais. Que tu as été sacrifié pour un manque flagrant de maturité. Je l’ai compris bien plus tard alors que ça te crevait les yeux. Tout ce que j’ai pu te dire sonnait faux à tes oreilles. Je t’en voulais de ne pas me croire. En quelques jours, sans que tu y sois pour grand chose, j’ai gâché deux mois d’insouciance. J’avais réussi à force de patience à faire tomber tes défenses pour finalement te piétiner. Sans même m’en rendre compte.

Avec le temps, je pense que tu m’as rangée à ma place, celle d’une passade un peu trop jeune, une douce inconsciente qui croque la vie pour mieux l’apprendre. Que comme moi, tu ne regrettes pas d’en avoir profité, parce qu’à ce moment-là, crois-moi, j’étais sincère. Et j’espère que tu as relativisé la fin, que ta propre maturité a pu combler les brèches que j’ai ouvertes.

Tu ne liras probablement jamais ces mots, je suis sortie de ta vie il y a longtemps et c’est tant mieux pour toi. Rien ne m’autorise à m’y inviter six ans plus tard, fut-ce pour t’expliquer, fut-ce pour te demander pardon. Ton nom passe-partout t’assure le plus strict anonymat. Quand bien même je le voudrais, je ne pourrais pas te retrouver. Mais il n’empêche qu’aujourd’hui comme quelques fois lors de ces ans passés, me vient l’envie de te voir. Parler à nouveau avec toi. Danser avec toi. Certainement ce ne serait plus pareil, mais tu étais bon danseur, à l’époque. M’assurer que tu vas bien, que ta vie te convient.

J’ai perdu ce droit par bêtise et égoïsme il y a bien longtemps. J’ai perdu l’ami qui aurait pu se cacher derrière l’amant et je ne peux que m’en blâmer. Je sais juste, au fond de moi, que tu étais quelqu’un de vraiment bien et mon regret sera d’être passée à côté à force de n’en faire qu’à ma tête.

Tous les caramels du monde n’y feront rien

Le jour où elle est partie, tu as perdu ta seule alliée. Qui donc te protègerait, argumenterait pour ta défense, te passerait des bonbons en douce pour sécher tes larmes ? Sans son œil compatissant, sans ses brèves accolades qui disaient plus qu’aucun mot, sans ses gestes apaisants pour ne pas envenimer la situation, la moindre vexation était devenue torture. Plus personne pour te comprendre, personne pour t’assurer que tu ne méritais pas tout ça, personne pour contenir ton cœur plein à craquer d’émotions trop longtemps tues. Tout ton amour, ta rage et tes terreurs se retrouvaient d’un coup livrés à eux-mêmes, sans pouvoir être canalisés. Au tout début de ton adolescence. Tu parles d’un cadeau…

Alors tu as dû batailler, te blinder, apprendre à ne compter que sur toi, puisqu’au final, tout le monde partait sans toi. Combler pour la énième fois ce vide, cette solitude, par des bravades et l’envie de t’en sortir, quoi qu’il en soit. Avancer cahin-caha et profiter de chaque amitié, chaque mot d’amour qui ont tant pu te manquer étant petite.

Peut être un jour sauras-tu à quel point elle s’en est voulu, qu’elle pense encore t’avoir abandonnée au pire moment, alors qu’elle avait la responsabilité affective de sa petite sœur. Peut être un jour comprendras-tu que son départ était son unique chance de salut. Qu’elle a fait le choix, égoïste certes, mais tellement vital, de sauver sa peau et -surtout- sa santé mentale. Te laisser derrière elle fut la chose la plus dure qu’elle ait eu à gérer. Par la suite, elle a eu beau s’escrimer à essayer de te sortir de là, tenter du mieux qu’elle pouvait de rester dans ta vie, le téléphone a ses limites, surtout sur écoute. Elle aura toujours le sentiment tout au fond d’elle de n’avoir pas fait assez, de t’avoir trahie alors que tu comptais tant pour elle.

De te savoir adulte et pas si malheureuse la réconforte. Quelque part tu pouvais t’en sortir seule, à ton rythme. Tu as de la ressource et c’est tant mieux. Mais rien n’atténuera chez elle la culpabilité ressentie quand elle pense à sa toute petite sœur laissée malgré elle dans la maison qu’elle quittait avec tant de soulagement.

Confidence pour confidence

Des peurs irrationnelles contre des intuitions bien légitimes. Des petits riens contre les dernières nouvelles. Des vagues à l’âme contre des espoirs fous pour des paroles, poses et soupirs disséqués. De nouveaux projets de vie contre une coupe chez le coiffeur. Des larmes pour une chanson-souvenirs contre une recette de cuisine. Des souvenirs contre des désirs à personne d’autre avoués. Des détails du passé à assembler contre des peines secrètes. Des drames de vie qu’on ne pensait pas avoir à affronter un jour contre des fous rires pour un mot déformé. Des conseils avisés contre des envies de tout plaquer. De la confiance en soi par litres contre une complicité de toujours. Trois mots prononcés à la hâte contre des heures à tuer. Le dernier film à voir contre des livres à relire. Le travail, les amis, la famille contre une solitude ressentie sans trop savoir pourquoi. Les derniers ragots  contre un quart d’heure de philosophie.

Des brins de vie partagés au gré des lettres, textos, appels et trop brèves visites. À chaque pas, grand ou petit, le démon reste campé sur l’épaule gauche, pour nous rappeler qu’on ne sera jamais seules, qu’on vit ensemble, malgré tout. De petit rien en petit rien, nous restons côte à côte, l’une pour l’autre à jamais irremplaçable.