Ça plane pour moi

La cervelle en surchauffe, enfin dans mon élément. Survol. Balayage. Focus. Urgence. L’échéance qui arrive comme un camion à contre-sens. Acuité. L’éveil adrénergique concentre l’attention papillon mais élargit l’esprit. La tempête en approche m’apaise, comme toujours. La toile se construit, lien après lien, réseau de savoirs articulés, de concepts en intelligence. Bien sûr il y a des lacunes. Mais le filet est solide et rassure. On peut se jeter dans le vide sans risquer de se faire trop de mal.

Et revoilà le frisson. Au moment de sauter du plongeoir, on teste ses appuis, l’élasticité de la planche. Mais il n’est plus temps de se demander si on sait nager. On sait. Il n’y a plus qu’à savourer la vie comme suspendue. Et sauter.

Peut être auront-ils raison, finalement. De cette année de malaise sourd, d’impression d’imposture, de stress acide rongeant le corps et les ressentis, peut être ne restera-t-il que cette quintessence. Toute l’intensité d’une année-sourdine révélée en une poignée de semaines et quelques étapes euphoriques le long du tunnel. Et alors, dans le rétroviseur, peut être ne seront reflétés que ces instants fugaces, condensés de vie à l’état brut, pour lesquels j’avais choisi, il y a à peine un fragment d’éternité, de relever le défi.

Le phœnix n’était pas mort

Bien sûr qu’il fallait espérer. Même si j’ai brûlé une copie du jugement chaque mois pour compter le temps passé sans toi. Je savais bien qu’il fallait espérer. Même si je n’osais pas. Pas après tout ce qui avait été dit. Pas après tes yeux dans les miens en me disant que non, tu ne reviendrais pas. Je savais bien que je pouvais compter sur toi. Même si tu avais eu le temps d’apprendre à me haïr. Même si l’image que tu avais de moi pouvait largement justifier ton départ et tes accusations.

Bien sûr on a comblé l’absence, on ne pouvait pas vivre avec ce vide béant. Bien sûr, sans jamais t’oublier, on s’est débrouillés, on a continué nos vies et toi la tienne. En sachant pertinemment que ce temps serait perdu pour tous, que rien ne le rattraperait. Quelques ponts jetés ont maintenu des contacts, ravivé des souvenirs. Mais de quotidien, même morcelé, il n’était plus question. Et chaque mois le feu salvateur me permettait de tenir, de respecter tes choix. Parce que la confiance s’accommode tellement mal de harcèlement ou de bourrage de crâne. J’ai opté pour le retrait. Bien sûr, ça prendrait du temps. Beaucoup. Mais la fin, je ne la devrais qu’à toi. Et ça valait toute l’attente du monde.

Et finalement, un beau jour, une lettre est arrivée. Lettre que je n’attendais pas encore, tant mon espoir se timorait au froid contact de ma rationalité. Lettre qui a allégé en quelques instants quatre ans de cœur-enclume. Tu étais grande et tu avais compris. Les larmes en cascades gouttaient sur les cendres anniversaires au fond de la corbeille en lisant de vaines excuses. Naïve que tu étais… Tu avais toujours été pardonnée, puisque de faute il n’y avait pas. Pas de ta part en tous cas. Et qu’il ne sert à rien de réécrire le passé. Seules compteraient désormais les années en partage, la complicité grandissante, la famille qui cicatrise lentement mais sûrement. Le bonheur éclatant qui revient, rejaillit, étincelle, sûr de son bon droit et plus fort que jamais. Et mois après mois, pour sûr, les années se multiplieront. Sans rien effacer, elles rapetisseront le temps perdu jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un pointillé, tatouage délavé, anecdote d’une vie somme toute pas si cruelle.

Double Je

Elle aimerait… Se dédoubler. Ne plus se partager, s’écarteler, se déchirer. Être tout à fait deux. Double “Je” à part entière, chacun intègre, chacun vivant à cent pour cent. Chacun exactement à la bonne place, au bon moment.

Elle oublierait… La culpabilité. L’impression constante d’être déloyale. Tantôt à l’un, tantôt à l’autre. Souvent aux deux. Et puis à elle aussi. Qui blesse son monde à coups de pavés de bonnes intentions. Qui garde en tête les limites infranchissables, imprimées en filigrane sur ses rétines. Qui a trop peur de piétiner sur son passage ceux qui ne peuvent lui refuser grand chose. Qui a parfois du mal à profiter, toute attendue qu’elle est, d’un côté comme de l’autre. Mais on n’a pas le droit de gaspiller son bonheur. Et du bonheur, elle en a à revendre. Alors que d’autres meurent de tristesse, de solitude, d’ennui. Oui mais voilà… Chaque bribe de joie a un goût d’instants volés, chaque sourire la réchauffe et la glace de l’intérieur, chaque jour qui passe se joue la stéréo, c’est le bordel dans son cerveau. Est-ce qu’un cœur peut éclater de trop d’amour ?

Elle revivrait… La moindre ligne de son histoire. Pour rien au monde elle n’en dévierait. Tiens bon la barre et le vent, le pire reste à venir. Mais, alors que montent déjà les larmes et les détresses, une certitude s’impose. Au bout du compte, il n’y aura pas de regret. Tout ce qui a été vécu en valait le coup. Ce qui ne l’a pas été a protégé des trésors inestimables. Les autres possibles se sont barricadés derrière les “si”, remparts ardents pour doux rêveurs. Resteront les souvenirs blottis au fond du cœur, autant de briques qui déjà construisent ses avenirs.

Le retard de Morphée

Clic. La lumière s’éteint sur quelques mots légers exprès pour tenter de détendre l’atmosphère.

Une heure plus tard, le cœur cogne toujours. Des flashs givrés de pluie d’hiver s’agitent au fond des yeux. L’écho de paroles fortes, vaines, insidieuses, futiles, coups de poing ou baumes empoisonnés bourdonne encore aux oreilles. Qui captent le moindre crissement de draps, les apnées et les soupirs. Le corps s’accroche au lit comme un naufragé à sa planche ; il ne remue plus d’un pouce pour garder un semblant de contrôle. Les envies se télescopent, les rêves s’éveillent mais la tête tient bon. L’édifice reste en place et le corps est ficelé, emmitouflé au fond de son abri de couette.

Au bout d’une heure de noir, la respiration en contrebas se fait plus régulière. Les yeux sont grand ouverts, le cœur palpitant peine à se calmer. Quand enfin montent les ronflements, les épaules s’autorisent une once de relâchement, la tête sort se rafraîchir, les pensées oscillent entre cohérence et fantasmes engourdissants.

Un battement après l’autre, la résonance s’apaise. Les minutes qui bouillonnaient dans le flot d’adrénaline s’étirent en caramel et finissent par s’arrêter lorsqu’enfin les chiffres rouges deviennent flous, puis clignotent, puis disparaissent totalement.

Au matin, les yeux cernés papillonnent, le corps s’étire paresseusement, les pensées en tourbillon se sont posées et réajustent cahin-caha leur sourdine. Tout va bien sous le soleil, la journée peut commencer.

Le cœur plus gros que le ventre

Elle a le cœur un peu trop grand, un peu trop doux, un peu trop vif. Un peu trop plein de niches où se lover. Un peu trop accueillant, peut être. Un peu trop attaché, voire un peu trop collant.

Un rien avide. De vie, de sens, d’émotions, de rêves, de sensations, de petits riens et de fantasmes.

Heureusement qu’il irrigue si bien le cerveau dont il est responsable qui, sans le mettre en sourdine pour autant, recommande la prudence aux autres organes et évite les raz de marée.