L’enlèvement de Morphée.

Rendez moi mon sommeil. Arrêtez de vous inviter l’un après l’autre sous mes paupières, à me reprocher encore et encore tout ce à côté de quoi je suis passée aujourd’hui, hier et les semaines précédentes. Arrêtez de me suggérer de fausse solutions qui ne semblent bonnes qu’entre minuit et cinq heures du matin. Cessez de me tracasser, je me dois d’être en forme demain à six heures.

Dès que mes paupières sont closes, je vois vos visages, je vous entends, je repasse le film de la journée et j’essaie de mieux faire. Mais je ne peux pas remonter le temps. Je n’ai pas de deuxième chance, seulement une marée de regrets qui viennent s’échouer et me noyer dans la nuit. Inéluctablement, je revois chaque erreur commise et j’ai envie de me terrer dans un trou jusqu’à la fin de l’année ou de me taper la tête contre un mur. J’ai du mal à me rappeler que je suis une adulte responsable. L’ai-je été aujourd’hui ?

Arrêtez s’il vous plait de guetter le moment où je pourrais glisser dans le sommeil pour éclater encore une fois en sanglots, vous insulter ou faire une crise de tétanie. Ne vous étalez pas de minute en minute pour réduire à néant les pensées qui pourraient positiver cette journée, cette semaine, cette année. Ne tabassez pas le marchand de sable, il n’y est pour rien. On pourrait régler nos différends en plein jour et face à face, plutôt que sournoisement dans ma tête à 1h du mat’, non ?

Dans la fausse lucidité de l’insomnie, je reprends le fil de chaque infime décision, qui, toutes ensemble, ont rendu cette journée quasi-catastrophique. Je me vois précisément emprunter systématiquement la mauvaise route à chaque croisement. Et les paupières se rouvrent en grand pour contempler le plafond. Les tours et détours dans le lit ne servent qu’à empirer l’impression de désastre. La tête me tourne, les heures s’écoulent et me manquent déjà en prévision de demain matin.

Et vous les mots, restez tranquilles. Il ne sert à rien de se bousculer, vous ne faites que mélanger les textes auxquels vous voulez donner vie. En tourbillons dans la nuit, vous me faites miroiter une compensation littéraire aux idées noires. Aussitôt la lumière allumée et le clavier au bout des doigts, vous ne valez plus rien, vous vous cachez, vous devenez banals et vains. Et vous grignotez encore un peu plus ma nuit en tentant de la rattraper. À trop vous avoir délaissés ces temps-ci, il faut croire que vous vous vengez.

Et voilà qu’il me reste à peine autant de temps à dormir que de temps de transports dans la journée de demain.

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