Funérailles blanches

Test. Un, deux, un, deux. Tenez Monsieur, soyez gentil, allongez vous-là, comme ça, c’est bien. Est-ce que ça ferme? Oui, c’est bon alors. Du sur-mesure, je vous l’avais dit. Attendez une petite minute, les porteurs vont essayer de soulever le tout. Voilà, c’est bien, c’est déjà fini, vous pouvez sortir.

Donc, pour le trajet, sachant que vous paierez au kilomètre, quel itinéraire choisissez vous? Vous voulez les faire marcher longtemps ou pas? Oui, bien sûr, on peut le faire ensemble à pieds, vous choisirez après. Bien, montez donc dans le corbillard pour le repérage. Côté passager, c’est bien, vous passerez à l’arrière bien assez tôt.

Et pour la réception qui suit? Voulez-vous goûter à tout pour en profiter vous aussi avant l’heure? Bien sûr que c’est possible. Il ne manquerait plus que ça, que vous ne profitiez de rien ! Non non, vous pourrez ainsi anticiper l’évènement comme une bonne surprise pour vos proches. Une dernière fête dont vous serez l’hôte. Voilà, je vous laisserai composer le menu avec mon assistante.

Pour terminer, nous allons procéder aux essayages de costumes, coiffures et coutures. Non, rassurez-vous, on ne va pas vous coudre pour de vrai. On va d’abord mouler votre visage, prendre les mesures et tout reporter pour le jour J. Essayez donc de tenir vos lèvre comme ça. Regardez, si je fais ça de cette manière, ça rendra ça. Ça conviendra? Oui? Parfait monsieur.

Bon, je vous raccompagne. Nous ne nous reverrons à priori pas, mais soyez rassuré, tout se passera bien, vous serez comme il se doit le centre de l’attention et personne ne pourra trouver à redire à votre dernière prestation.

Il y a…

Il y a la grisaille, le quotidien, la fatigue, les frustrations. Il y a parfois un lever de soleil orangé sur le canal. Il y a les heures trop courtes, les échéances qui tombent en pluie, la course à la vie, les on n’en voit pas le bout. Et puis il y a le sourire franc et sincère d’un inconnu croisé au hasard d’une rue. Il y a la routine, l’ennui, les humeurs maussades et les vague-à-l’âme. Et là, il y a un coquelicot qui éclate en éphémère joie sur le bord du chemin. Il y a les larmes, les doutes, les creux de vague, la solitude. Il y a alors le ronron d’un chat roux au réveil. Il y a les trucs qui ne marchent pas, l’agacement, l’éloignement et la promiscuité. Il y a l’odeur d’une tartiflette qui grille dans le four. Il y a une rixe dans la rue cette nuit, du sang sur le trottoir ce matin, les poubelles qui débordent, la caisse du chat à changer. Il y a juste là la douceur d’une caresse et la chaleur de bras câlins. Il y a l’œuf trop cuit sur la pizza, le dessert qu’on convoitait commandé par le client juste avant, la dernière bouteille de lait finie avant le petit déjeuner, vingt minutes de pubs avant le film. Il y a également des heures de partage dans un groupe accueillant. Il y a l’odeur de cigarette le matin dans la rue, le bus en retard, le bus en avance, le bruit des voitures tout le long du trajet. Mais il y a trois minutes de danse en accord parfait avec son cavalier. Il y a le téléphone muet, des factures dans la boîte aux lettres, les cris des enfants dans le train, un incident voyageur dans le métro. Il y a surtout une deuxième brosse à dent dans la salle de bain et ta tête sur l’oreiller.

La porte dévergondante

Un jour, par curiosité, j’ai poussé la porte et je suis entrée. Un monde de rires, d’actions imaginaires, fantastiques, de situations cocasses, suggestives. De la timidité, réelle et feinte. Un immense plaisir à vivre cent vies, rencontrer mille personnes et se découvrir à travers la peau d’un autre. Depuis, je pousse chaque semaine cette porte sublimant les caractères, les émotions, les relations. Laissant avec mon manteau la fille sage au vestiaire, je participe à la débauche ambiante dans ce sanctuaire protégé où l’expression est reine.

Les yeux de chat

À quoi penses-tu quand, pudique, tu détournes les yeux, tu coupes tout contact? Où es-tu quand tes paupières se ferment à demi sur le bleu si profond d’un océan de tristesse? Inaccessible, insaisissable, je te vois t’éloigner pour panser tes blessures, seul, puisque nul ne peut t’aider. Je reste là, au cas où, qui sait, tu t’ouvres à nouveau. Mais j’apprends à éviter ton regard, pour ne plus y voir toute la peine du monde que je ne peux consoler. Pour fuir cette marée d’impuissance qui m’engloutit sans prévenir quand ton visage, d’un coup d’un seul, s’assombrit. Pour te cacher cette douleur que je ne veux pas ajouter à ton bagage. Je trouve mes réconforts où je peux, et de fil en aiguille, un jour, je ne laisserai plus ton si lourd silence me toucher ainsi. Mais pas encore. Pour l’instant j’ai trop peur que ce moment marque mon détachement, mon blindage, mon envol. Alors je persiste et absorbe, je prends sur moi ce qui m’arrive en plein cœur, espérant que bientôt sur moi tu braques fixement tes jolis yeux.

Avant l’heure

Discrètement, presque en s’excusant, la Mort a toussé à son oreille. Elle ne voulait pas le déranger mais Elle se devait d’attirer son attention. Elle ne peut pas débarquer comme ça, sans prévenir. Surpris, il a haussé un sourcil et demandé “Déjà?”. La Mort a gardé le silence un instant, a secoué la tête et a finalement répondu qu’Elle ne venait pas pour lui. Il s’est affaissé, s’est retourné vers le frêle corps endormi sous les draps, a hésité, a renoncé à supplier. On ne badine pas avec la mort, n’est-ce pas? Il lui proposa tout de même un marché. Quitte à se déplacer pour elle, petite chose qu’il porte en son cœur depuis sa venue au monde, ne pouvait-Elle pas prendre un peu d’avance sur son travail? Faire d’une pierre deux coups, en quelque sorte. Il est tout à fait prêt à s’arranger avec la Vie pour redistribuer le temps restant qu’il ne saurait de toutes façons pas mettre à profit. La Mort a appelé la Vie, a tenu conseil et a fini par lui présenter un compromis. Son corps restera à disposition pour le temps qu’il aurait dû lui rester. Ce corps mobile, fonctionnel, perfection originale de la Nature servira de réceptacle aux nécessiteux. Quant au reste, Elle n’a pas la force de l’empêcher d’aller où bon lui semble, et s’il préfère accompagner son enfant que de lui dire adieu, Elle ne saurait s’y opposer.