Le zonard des étoiles

Isolé de tous, il vit sa vie en solitaire. D’abord choisie, sa solitude devint forcée quand, la tête dans les étoiles, il oublia de signifier au monde sa présence. Aujourd’hui on le connaît comme l’original, celui qui ne sait pas très bien ce qui se passe, ni qui il est. Lui a gardé le blouson en cuir de sa jeunesse, sa chevelure de poète, ses pensées vagabondes. Ne s’est pas rangé, parce qu’au moment où l’idée lui a traversé l’esprit, il n’y avait plus de place pour lui. Le monde trop étroit n’a pas élargi le cercle pour le laisser entrer. Il est resté, marginal, à contempler les étoiles, pensant peut être à une rose fragile, attendant éternellement sur l’astéroïde éloigné B612 son ami et protecteur. Parce que lui se souvient de cette rose que tant d’autres ont oubliée.

Après l’échéance, la déchéance

Un jour après l’autre, le calendrier défile et s’effiloche, perdant ses feuilles quotidiennement. Ignorant toutes nos suppliques, la date se rapproche, sans cesse plus menaçante. Elle devient plus réelle, l’ignorer devient risqué tant son importance est intimidante. Sa venue stimule, elle permet de tirer la quintessence de l’être pour répondre parfaitement à toutes ses exigences.

Et puis après avoir donné tout son possible, fait de son mieux, la pression, enfin, retombe. Tel un soufflé trop tôt sorti du four, le corps, l’esprit se ramollissent. L’énergie vient à manquer, même plus de pensées à laisser vagabonder tellement l’on se sent vidés. Cette pause inopinée, ce repos bien mérité ont un goût de brève déchéance accordée avant de reprendre le galop insensé.

Et après

Le rideau retombe, les applaudissements s’éteignent, la salle redevient calme. Sont-ils émus, touchés, satisfaits, amusés par ce qu’ils ont vu? Ont-ils remarqué toutes les imperfections que nous n’avons pas eu le temps de corriger? N’y ont-ils vu que du feu, emportés qu’ils étaient par la magie du spectacle? Sauront-ils jamais?

Peuvent-ils imaginer combien de peine, de travail, de compromis, de débats acharnés, de coups de gueule, de frustration, de désillusions, de pression, de découragements, d’abandons, d’acharnement, de déchirements, de galères il a fallu pour leur présenter cela aujourd’hui? Peuvent-ils le voir dans nos regards en chien de faïence? Devinent-ils sous les sourires maquillés les alliances, les duels, les oppositions, les rancœurs? Ne voient-ils que la magie, les fous rires, le plaisir d’y être arrivés?

Très certainement, ils s’en moquent. Ne cherchent pas à le savoir. Ne savent même pas si le spectacle leur a plu, il leur faudra un jour ou deux pour se décider, après en avoir un peu parlé avec leurs voisins de banc. Et puis ils oublieront, on n’est pas là pour marquer leur esprit à l’indélébile, juste pour les distraire pendant une courte soirée de leurs combats personnels.

Errance de jeunesse

Ma mère n’a pas toujours été la femme rangée, sage et sortable que vous connaissez. Quand elle était jeune, parait-il, elle a fait quelques “erreurs”. Moi je dirais plutôt qu’elle a erré, attendant quelque chose sans savoir quoi, comme la plupart des gens errant. Alors elle nous a eu tard, mon frère et moi. Elle n’est vraiment plus toute jeune maintenant… Mais ça ne me dérange pas, elle ne cherche pas à être ma meilleure copine. Elle a mis du temps à trouver mon père, enfin, du temps avant d’être prête à ce qu’il soit mon père. Avant cela, elle a essayé de nombreuses choses, expériences, partenaires, substances… Elle ne s’en cache pas, ne le regrette pas, ne nous le souhaite pas non plus : elle a conscience qu’en d’autres circonstances, elle pourrait errer toujours. Et qu’elle est quand même heureuse de s’être “posée”.

C’est arrivé loin de chez nous

On a vu la nouvelle à la télé, on a été horrifiés, on s’est sentis mal, on a compati. Et puis on a zappé, regardé notre émission de variété, le film du soir ou notre série préférée. On a éteint le poste, on est allés manger, on a lu, on s’est couchés. On a oublié, jusqu’au lendemain où la radio nous a réveillés avec plus de nouvelles. On a pris notre petit déjeuner et on a de nouveau oublié. À la pause café, on a fait ceux qui savent, on en a parlé pour montrer qu’on est au courant. Et puis on a fait les mots croisés.

C’est arrivé loin de chez nous et quelque part, ça nous rassure. Nous savons que ça existe, nous savons que ç’aurait pu être ici, mais ça ne l’est pas. Nous, on continue notre vie, c’est normal, on ne va pas s’arrêter à chaque mauvaise nouvelle. Et on croise les doigts pour que ça ne se rapproche pas trop…