Plus jamais ça

Rouge. La honte ressentie est encore rouge. Non pas rouge sang comme celui qu’elle a versé. Ni rouge tomate comme les fruits détestés qu’on la force à ramasser. Rouge. Rouge comme le fer qui a marqué sa peau, attestant de sa condition. Condition de femme, condition d’outil de travail pour un maître toujours plus exigeant.

Noire. Noire sa colère qui la soutient et l’emporte loin d’ici. Noire comme le chaudron que jour après jour elle emplit pour nourrir les habitants du domaine. Noire comme le chaudron toujours vide de sa propre famille. Noire comme la couleur du ciel quand elle se lève, et quand elle se couche après son travail.

Marron. Marron le mépris qu’elle a pour eux, marron le mépris qu’elle a pour elle. Marron sa vie traînée dans la boue, qui l’empêche de respecter qui que ce soit, surtout pas sa propre personne.

Après les évènements de cette nuit, elle ne sera plus jamais la même. Elle sera libre, traquée, seule et meurtrie. Morte sa famille retenue en otage contre son travail quotidien. Plus d’attache au domaine. Mort le contremaître qui une fois de trop l’a emmenée dans son lit pour la nuit plutôt que de la laisser rejoindre son compagnon et son enfant. Enfuie l’esclave rebelle qui a causé sa propre perte et celle des siens. La vie l’attend désormais, à moins que ce ne soit la mort.

La gazette du palais

Bonjour mes chères papilles, merci à vous lecteurs de la “gazette du palais” !

Aujourd’hui, nous ferons un petit récapitulatif de la semaine passée, riche en émotions. Vous pourrez également participer à notre jeu concours et peut être gagner un changement de fonction pendant toute une journée. Vous aurez ainsi la chance d’expérimenter la sensation de sucré , de salé, d’amer ou d’acide, selon vos envies.

Mais tout d’abord revenons sur la terrible catastrophe survenue mardi dernier. Comme vous le savez, nous avons perdu des centaines de collègues dans l’inondation de thé brûlant qui a ravagé la langue et l’arrière du palais. Cet incident est très clairement dû à une négligence des centres nerveux supérieurs, qui ont oublié de demander un test de la température du thé avant de le porter à la bouche. Les conséquences de ce sinistre se feront sentir pendant au moins quatre jours, et le retour à la normale est prévu pour jeudi prochain.

Cette brûlure a également mis à jour un début d’abcès au niveau de la joue droite, près de la zone de frottement de la molaire. Toutes nos pensées pour les travailleurs de cette zone, doublement touchés par la douleur. Nous leur souhaitons une rapide régénération.

Pour parler de sujets plus légers, rappelons nous l’instant de délice qui a pu ravir toutes les papilles en service pour le repas de dimanche soir. Vous avez ainsi pu déguster un merveilleux magret de canard, servi avec une sauce aux framboises, pour votre plus grand bonheur. Une mention spéciale aussi pour le tiramisu de chez Papamia lundi midi, j’espère que vous en avez bien profité.

Comme promis, notre jeu concours pour gagner une journée de test d’une nouvelle fonction, afin de varier tous vos plaisirs. Cette semaine, c’est votre mémoire qui sera mise à l’épreuve : le premier qui trouvera la liste complète des ingrédients de la salade de mardi midi gagnera ce concours !

Bonne semaine chers lecteurs, et merci encore de votre fidélité à “la gazette du palais” !

Valse

Danse linéaire s’il en est, sa fluidité est une merveille. Lorsque deux à deux nous tournoyons, nous ne semblons former plus qu’un seul organisme aux membres multiples qui bougent en rythme. A l’échelle du couple, la valse est un perpétuel aller retour en rotation, en avant, en arrière, avec les jambes qui s’entremêlent sans s’emmêler. La musique, en trois temps, nous laisse développer à la perfection nos mouvements : un grand pas, deux qui le rattrapent, toujours et encore recommencé. La grand-mère de Jacques Brel la dansait. Je pense que mes arrières-petites filles la danseront avec la même joie, le même émoi. Rien d’original. Terriblement efficace.

Fait d’hiver

Le froid est mon manteau, mon corps est fait d’hiver. Sec ou ruisselant selon mes humeurs, je gèle et m’infiltre en vous pour m’approprier toute chaleur. Je suis le blanc bienfaisant recouvrant la nature quiescente, lui offrant le repos nécessaire à son perpétuel renouveau. Je suis l’inopportun que l’on laisse à la porte lorsque grelottants, vous vous chauffez au feu et aux grogs. Calme et serein, je vous apaise grâce au dénuement dont j’orne les paysages. Je sais aussi par ma colère vous rendre l’humilité qui vous fait parfois défaut. J’arrête impunément vos activités, vous rendant pour un temps votre place précaire parmi les êtres éphémères. Pour cette raison vous m’admirez. Dès votre plus jeune âge mes flocons vous émerveillent, leurs tourbillons incessants vous rendent philosophes et ma poudreuse vous invite à recréer sans cesse les mêmes jeux, parenthèse d’innocence dans vos vies accablées. Inéluctable, vous m’attendez autant que vous me détestez, et bien souvent, vous préférez le moment où, sagement, je cède la place au printemps.

Couic

Couic.

Couic.

Les couinements répétés et ostentatoires des rats commencent à peser lourdement sur l’ambiance de l’équipe. Depuis le temps qu’ils travaillent là, ils avaient bien vus quelques fois un rat mort près des poubelles… Mais ces derniers temps, ce ne sont pas des rats morts qu’ils voient de temps en temps. Ce sont de vrais rats, bien vivants, qu’ils aperçoivent du coin de l’œil et entendent toute la journée.

Couic.

Thomas, le dernier arrivé, s’insurge de la situation. Il est inadmissible de travailler dans ces conditions, surtout pour une équipe de recherche ! Sans vouloir être élitiste, jamais il n’aurait pensé qu’en étant jeune chercheur, il aurait à côtoyer des “rats de laboratoire” en liberté. Des rats d’égouts, en fait. Ses collègues lui ont expliqué que le bâtiment est vieux, que le sous sol est très peu aménagé et que les gens évitent d’y aller, ce qui favorise la prolifération des “nuisibles”.

Couic.

Couic.

Le bruit est surtout dérangeant le soir, quand le labo devient de plus en plus silencieux et les rats de plus en plus bruyants. On sent qu’ils se battent pour leur territoire, là dessous, et que la guerre est sans merci. L’équipe, petit à petit, a modifié ses habitudes. Ils arrivent assez tôt le matin. Repartent le soir quand le crépuscule n’est pas encore tombé. Et surtout, surtout, ils évitent d’aller seuls au sous-sol chercher des stocks. Particulièrement depuis qu’ils trouvent des cadavres de rongeurs qui ont l’air vraiment mal.

Couic.

Qu’un rat puisse mourir de maladie, cela se conçoit assez bien. Qu’il puisse mourir de blessures, ou d’un abandon par ses congénères aussi. Qu’il meure empoisonné par un membre de l’équipe exaspéré, encore plus. Mais des cadavres déformés, avec des membres en plus ou en moins, un corps tordu, des boules énormes sur le corps… Ça non ! Même les plus vieux ont eu des frissons en voyant l’état de ces rats qu’ils se sentent bien obligés d’appeler mutants. Surtout quand ils se demandent si ce qui met les rats dans cet état n’est pas une substance qu’ils côtoient eux aussi quotidiennement…