Suzanne

Avec toi, c’est mon enfance qui meurt une dernière fois, mes dix ans qu’on enterre pour de bon. Les étés sous les platanes, à jouer au keum’s, au son des mobylettes et sous le fumet du fumier. L’odeur, inoubliable, de l’épicerie dans la pénombre. Le moulin à poivre qui m’a toujours attirée.  Le tic-tac de la grande horloge, qui nous guette tous. Le parquet qui grince, le journal de Mickey. Les ballades ensemble après le repas du soir pour aller au lavoir, pour repousser à l’air frais et en toute légalité le moment du coucher.

Suzanne, c’est ta voix, ferme et douce, que je garderai de toi. Pleine d’une immense tendresse, mais qu’on ne voulait surtout pas contrarier. La trappe qui s’ouvre sur la cave, comme une menace jamais mise à exécution. Un tuyau d’arrosage, un seau et 3 m² de béton, et c’était parti pour des heures de tranquillité pour vous, les adultes, attablés devant un café ou un digestif. Et un torchon pour chacun, pour essuyer la vaisselle. Des heures à farfouiller dans l’épicerie, à nous faire peur en faisant grincer les marches, cachés derrière les toiles d’araignée. Les longues nuits à nous retenir pour ne pas être celle qui aurait à vider le pot de chambre au petit matin…

Au revoir Suzanne. Nous reviendrons à Beaulieu, saluer ton fantôme, indissociable de la maison, avant de fermer une dernière fois les volets sur les rires, l’ennui préadolescent et l’innocence de mes étés.

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