Home

Tu as semé des bouts de “je t’aime” un peu partout dans la maison. Je les découvre un à un qui murmurent à mon cœur et atteignent mes tripes. Un livre que tu as fini mais pas encore rangé. La vaisselle sur l’égouttoir avant que je ne fasse à manger. Le coussin tassé à la forme de ton dos. Le linge étendu à la va-vite parce que tu détestes ça. Un bol de céréales terminé qui attend dans l’évier. L’appartement rutilant quand je rentre de voyage. Des objets déplacés juste pour me faire rire. Ton odeur sur la serviette de bain. Les chats nourris qui paressent sur le sofa. Des yaourts dans le frigo, des bonbons dans le placard. Et du lait par douzaines parce qu’il me faut du stock. Le T-shirt posé juste à côté du panier pour me faire râler. La musique en rentrant, le café coulé. Les tomates cerises patiemment plantées, les meubles qui attendent leur tour pour être réparés. Et une caisse de Bourgogne gentiment déposée en vue dans mon bureau.

Pas besoin de mot sur le frigo, de déclaration passionnée.

La maison me transmet tes messages, ressort chaque jour tes bouts d’amour. Provoque et reçoit, complice, mes sourires, mes rires et autres soupirs par tant d’attentions, de présence et de gaité provoqués.

La SNCF vous informe

Mesdames et Messieurs, nous vous souhaitons la bienvenue à bord de notre train dont vous connaissez tout aussi bien que nous la destination, à moins que vous n’ayez sauté dans le premier train à quai.

Pour la tranquillité de tous, nous vous rappelons que vos portables doivent être en silencieux, nous vous invitons donc à envoyer des messages à vos correspondants ou à passer vos appels téléphoniques depuis les plateformes situées à l’extérieur du train.

Si vous n’arrivez pas à faire taire vos gamins braillards et capricieux, nous vous informons qu’un bocal de chloroforme est à votre disposition en voiture 3. Les contrôleurs vont passer parmi vous, n’hésitez pas à leur demander conseil pour les dosages requis.

Pour les riches pigeons qui ne peuvent patienter une heure ou deux sans manger ou sans café, un bar se trouve en voiture 4. Il vend également des boules Quies à prix d’or et des tickets de métro avec un tarif spécial “un pour le prix de deux”.

Nous vous rappelons qu’à sept heures du matin les gens normaux aiment terminer leur nuit et nous vous prions donc de détailler votre vie sexuelle à un volume sonore n’excédant pas le murmure inaudible.

Afin de nous assurer que vous ayez bien compris le message et parce qu’il n’y a pas de raison que nous soyons les seuls réveillés, nous diffuserons cette annonce à intervalles réguliers, entrecoupés de l’inventaire exhaustif en temps réel du contenu du bar.

Mesdames et messieurs, nous espérons que vous ayez suffisamment de volonté pour passer malgré tout un agréable voyage.

Au foyer

“Bonne journée mon Loulou !”

Une fois la porte refermée, je me retrouve seul. J’en profite pour me recoucher un peu, c’est tellement bon de prolonger mes rêves… Puis je me lève, mange un bout et me colle à la fenêtre pour voir passer les voitures, observer les petits bonhommes en bas qui gigotent dans le froid tandis que je reste bien au chaud.

Je m’active un peu à la mi-journée. Très sérieusement, je chasse la poussière et vide les poubelles. Et je me prépare comme il se doit pour son retour. Je ne voudrais surtout pas qu’il me surprenne avachi sur le canapé. Quand il passe la porte, il me trouve propre, sagement assis au milieu des trophées que j’ai soigneusement sélectionnés pour lui. J’ai beau dormir seize heures par jour, j’aime bien récolter caresses et compliments quand mon Homme rentre au bercail une fois sa journée terminée. Aujourd’hui pourtant, ce sont cris et taloches qui m’accueillent. De ma cachette sous le fauteuil, je le vois à mon grand dam ramasser un à un tous les détritus et les remettre rageusement dans la poubelle. Ainsi, aujourd’hui, il n’a pas apprécié mon cadeau.

La porte dévergondante

Un jour, par curiosité, j’ai poussé la porte et je suis entrée. Un monde de rires, d’actions imaginaires, fantastiques, de situations cocasses, suggestives. De la timidité, réelle et feinte. Un immense plaisir à vivre cent vies, rencontrer mille personnes et se découvrir à travers la peau d’un autre. Depuis, je pousse chaque semaine cette porte sublimant les caractères, les émotions, les relations. Laissant avec mon manteau la fille sage au vestiaire, je participe à la débauche ambiante dans ce sanctuaire protégé où l’expression est reine.

C’est arrivé loin de chez nous

On a vu la nouvelle à la télé, on a été horrifiés, on s’est sentis mal, on a compati. Et puis on a zappé, regardé notre émission de variété, le film du soir ou notre série préférée. On a éteint le poste, on est allés manger, on a lu, on s’est couchés. On a oublié, jusqu’au lendemain où la radio nous a réveillés avec plus de nouvelles. On a pris notre petit déjeuner et on a de nouveau oublié. À la pause café, on a fait ceux qui savent, on en a parlé pour montrer qu’on est au courant. Et puis on a fait les mots croisés.

C’est arrivé loin de chez nous et quelque part, ça nous rassure. Nous savons que ça existe, nous savons que ç’aurait pu être ici, mais ça ne l’est pas. Nous, on continue notre vie, c’est normal, on ne va pas s’arrêter à chaque mauvaise nouvelle. Et on croise les doigts pour que ça ne se rapproche pas trop…