Sine qua none

Après tant d’années, je pourrais presque te pardonner. Si seulement tu le demandais. Avec le recul et l’expérience, en relativisant, j’arrive presque à comprendre. Je n’excuse pas, mais je peux imaginer la détresse, l’esprit tellement malmené qu’il a certainement dû céder. Avec le temps, qui sait, serait-il possible de passer outre. Puisque, apparemment, tu as changé. Je dois me rendre à l’évidence. Les petits, une fois adultes, n’ont pas l’air de t’en vouloir.

Mais pour cela, il faudrait que tu t’excuses. Et encore, je n’en demande même pas tant. Il faudrait que tu reconnaisses. Non, même pas tant encore. Il faudrait que tu appréhendes seulement le mal que tu as pu nous faire. Que tu comprennes les vies brisées puis rafistolées. Les blessures qu’on aurait peut être fini par avoir de toutes façons. Mais pas si tôt. Pas comme ça. Pas par toi. Les personnalités biscornues, les séquelles que tu nous as laissées. À toutes. Pas seulement à celle qui si souvent attirait tes foudres. Que tu comprennes que si on s’en sort, c’est malgré toi, et non pas grâce à toi.

Que tu appréhendes tout ça, sincèrement, et que tu te remettes en question. Pas seulement en façade, mais qu’au plus profond de toi, tu ailles chercher ce qui a pu clocher. Que tu admettes tes failles. Que tu enlèves le plâtre et la peinture que tu as mis par-dessus. Que tu cesses de croire tes mensonges et que tu fouilles tes propres peurs, ta folie, tes erreurs. Que tu remontes ton histoire. Qu’au delà d’une certaine fatalité tu prennes tes responsabilités. Que tu cesses de rejeter la faute sur ceux qui ont eu l’audace de voir clair dans ton jeu. Pour qu’on ne revive plus les vives déceptions suivant les grandes annonces restées lettres mortes. Parce que notre quota de “comme si de rien” est épuisé.

C’est seulement sur ce terreau débarrassé de tout mensonge, sur la base d’une réelle volonté de changement, sur les prémices d’un repentir sincère que pourrait pointer le bout d’un pardon, que sortirait de son hibernation notre relation tant de fois tranchée net, que se raviveraient les souvenirs de temps heureux enfouis sous tant de mauvaise foi, de déni, d’inconscience.

Et si tu ne le fais pas pour moi, si tu ne le fais pas pour elles, si même tu ne veux pas le faire pour la nouvelle génération qui ne pourra que pâtir de la situation, je suis intimement persuadée que de traiter ce passé gangréné t’apporterait sinon un quelconque salut mystique, au moins une certaine paix qui t’a tant fait défaut.

Home

Tu as semé des bouts de “je t’aime” un peu partout dans la maison. Je les découvre un à un qui murmurent à mon cœur et atteignent mes tripes. Un livre que tu as fini mais pas encore rangé. La vaisselle sur l’égouttoir avant que je ne fasse à manger. Le coussin tassé à la forme de ton dos. Le linge étendu à la va-vite parce que tu détestes ça. Un bol de céréales terminé qui attend dans l’évier. L’appartement rutilant quand je rentre de voyage. Des objets déplacés juste pour me faire rire. Ton odeur sur la serviette de bain. Les chats nourris qui paressent sur le sofa. Des yaourts dans le frigo, des bonbons dans le placard. Et du lait par douzaines parce qu’il me faut du stock. Le T-shirt posé juste à côté du panier pour me faire râler. La musique en rentrant, le café coulé. Les tomates cerises patiemment plantées, les meubles qui attendent leur tour pour être réparés. Et une caisse de Bourgogne gentiment déposée en vue dans mon bureau.

Pas besoin de mot sur le frigo, de déclaration passionnée.

La maison me transmet tes messages, ressort chaque jour tes bouts d’amour. Provoque et reçoit, complice, mes sourires, mes rires et autres soupirs par tant d’attentions, de présence et de gaité provoqués.

La femme élastique

Elle fait deux pas en avant, et puis machine arrière. S’envolerait  en pas chassés si l’on voulait l’attraper. Elle donne sans réfléchir, enthousiaste, avec plaisir. Elle ne voit rien venir, pourtant la source va se tarir.

Elle se laisse tirer, étirer, malléable à volonté. On s’étonne et puis on s’habitue, ainsi va la vie, ce n’est pas si tordu…

Elle choisit une direction et pour sûr se donne à fond mais sans aucune résignation elle peut dire oui à l’abandon. Elle essaie de l’autre côté, toujours en quête d’activité, ne se laisse pas décourager par une quelconque difficulté. Mais quand l’intérêt n’y est plus, quand se pointent les déjà vu, dans sa soif d’absolu, elle lance un by-bye impromptu.

Elle se laisse tirer, étirer, malléable à volonté. On s’étonne et puis on s’habitue, on cherche ses limites, on ne les voit déjà plus. Jusqu’à atteindre en toute bonne foi, le moment où sans crier gare, elle retourne à son point de départ ou bien nous claque dans les doigts.

Lentement elle creuse son nid, patiemment bâtit une vie et par un beau jour s’enfuit, le laissant vide, elle est partie. À moins peut être qu’un petit gars, passant inopinément par là, la comprenant  instinctivement, ne la suive dans ses vient et va.

Mea culpa

Dans mon rétroviseur il y a tellement peu de regrets que je peux les compter tous, et tu as le privilège non négligeable d’en faire partie. Si je devais revivre ma vie, je referais presque tout, quasiment à l’identique. Non pas que je n’apprenne pas de mes erreurs, mais elles m’ont apporté au final plus de bien que de mal. Et j’espère avoir donné moi aussi un peu plus de bonheur que de malheur.

De toutes mes ruptures, venant clore aventures, histoires de cœur ou de corps, il n’en est au final qu’une dont je regrette la forme. Six ans après, je repense encore parfois à toi. Deux mois de printemps, une histoire en toute légèreté. Innocente et naturelle, une histoire qui fait du bien, une histoire facile à vivre. Deux mois de pur plaisir. Plaisirs des corps, danses, rires, conversations nocturnes, cuisines, musiques. Et j’en oublie peut être encore. Avec les ans, la mémoire s’émousse un peu.

Alors, bien sûr, on n’avait pas parlé d’amour, nous n’en étions pas là. Et je ne nous en ai pas laissé le temps, je suis partie avant. C’est vrai que c’était voué à l’échec, c’est vrai qu’on n’avait pas d’avenir. Perdu pour perdu, il valait mieux arrêter tôt, ne pas prendre le risque de se faire encore plus de mal un peu plus tard. S’il n’y avait eu que ça, alors très certainement tu m’en aurais moins voulu. S’il n’y avait eu que ça, alors c’est sûr, je m’en voudrais moins aujourd’hui.

Au final, celle qui m’a remplacée était bien mieux pour toi. Je persiste à croire que sans mon passage éclair dans ta vie, vous vous seriez attendus bien plus longtemps. Jalousie et compassion sont de puissants moteurs, ne les sous-estimons pas. Celui qui t’a suivi m’a rendue malheureuse. Est-ce que ça te console, est-ce que ça allège ma culpabilité?

Bien sûr, à force de chercher, de tâtonner, de tenter à chaque occasion, j’ai trouvé quelqu’un avec qui partager mon quotidien de la plus agréable façon qui soit. Quelqu’un qui justifie chacune de mes erreurs me guidant jusqu’à lui. On pourrait croire alors que le reste n’a pas d’importance. Et pourtant… À toi j’aurais aimé ne pas faire de mal. Ou t’en faire moins, ou différemment, ou pour de meilleures raisons.

J’aurais aimé te donner des explications satisfaisantes. Pas nécessairement bonnes (en existe-t-il vraiment?) mais sincères, plausibles, justes. Pour cela, il aurait fallu que moi-même je comprenne. Que consciemment je réalise que de me savoir avec toi avait blessé mon ex. Que je n’assumais pas la peine supplémentaire que je lui infligeais. Que tu as été sacrifié pour un manque flagrant de maturité. Je l’ai compris bien plus tard alors que ça te crevait les yeux. Tout ce que j’ai pu te dire sonnait faux à tes oreilles. Je t’en voulais de ne pas me croire. En quelques jours, sans que tu y sois pour grand chose, j’ai gâché deux mois d’insouciance. J’avais réussi à force de patience à faire tomber tes défenses pour finalement te piétiner. Sans même m’en rendre compte.

Avec le temps, je pense que tu m’as rangée à ma place, celle d’une passade un peu trop jeune, une douce inconsciente qui croque la vie pour mieux l’apprendre. Que comme moi, tu ne regrettes pas d’en avoir profité, parce qu’à ce moment-là, crois-moi, j’étais sincère. Et j’espère que tu as relativisé la fin, que ta propre maturité a pu combler les brèches que j’ai ouvertes.

Tu ne liras probablement jamais ces mots, je suis sortie de ta vie il y a longtemps et c’est tant mieux pour toi. Rien ne m’autorise à m’y inviter six ans plus tard, fut-ce pour t’expliquer, fut-ce pour te demander pardon. Ton nom passe-partout t’assure le plus strict anonymat. Quand bien même je le voudrais, je ne pourrais pas te retrouver. Mais il n’empêche qu’aujourd’hui comme quelques fois lors de ces ans passés, me vient l’envie de te voir. Parler à nouveau avec toi. Danser avec toi. Certainement ce ne serait plus pareil, mais tu étais bon danseur, à l’époque. M’assurer que tu vas bien, que ta vie te convient.

J’ai perdu ce droit par bêtise et égoïsme il y a bien longtemps. J’ai perdu l’ami qui aurait pu se cacher derrière l’amant et je ne peux que m’en blâmer. Je sais juste, au fond de moi, que tu étais quelqu’un de vraiment bien et mon regret sera d’être passée à côté à force de n’en faire qu’à ma tête.

Ainsi bat la vie

L’enfance, les études, les rencontres, le boulot, la rencontre, le mariage, les enfants, l’éducation, la retraite, les voyages, le placard et la mort. Ainsi va la vie.

Un chien aimant, une oreille attentive et sincère, les soirées insensées, le souci du détail, les jambes dévoilées, des éclats de rire, les gâteaux au chocolat qui se succèdent, le bénévolat, les couchers de soleil, le rami d’après midi et la mort.  Ainsi rit la vie.

Les familles décousues, le système rouleau-compresseur, les coups en traître des amis de passage, le chômage, la solitude, la déviance, la misère, l’hôpital et la mort. Ainsi bat la vie.