Lorsque j’ai quitté le collège, j’ai choisi de m’orienter vers des études très courtes en lycée professionnel. Je n’aimais pas particulièrement l’école, j’avais envie d’intégrer rapidement la vie active. Avoir de l’argent, ne plus dépendre de ma famille pour m’assumer, ça me plaisait beaucoup. Je n’ai donc jamais rejoint mon frère, qui était en lycée général et venait de passer en première économique et social avec dans l’idée de travailler dans l’économie ou la publicité. Nos lycées étaient en face l’un de l’autre, de sorte que j’imaginais que nous pourrions y aller ensemble, voire manger un sandwich dans le parc à côté certains jours de la semaine pour nous retrouver comme au bon vieux temps. J’avais senti pendant son année de seconde que l’on commençait à s’éloigner l’un de l’autre et je pensais que retrouver une proximité géographique réduirait cette distance. Je me trompais.
Dès la rentrée, il partit sans m’attendre pour retrouver ses amis et aller au lycée avec eux. J’allai seul dans mon nouvel établissement. Après ce premier jour fait de rencontres et de nouveautés, je le vis en sortant se diriger vers l’arrêt de bus. En me voyant, il s’empressa de regarder ailleurs, prit un de ses amis par le bras, accéléra et tourna au coin de la rue. De retour à la maison, je l’interrogeai mais il esquiva, me dit qu’il était occupé à ce moment-là et qu’il ne voulait pas s’interrompre pour me présenter à son groupe d’amis.
Ce manège devait se répéter souvent. J’ai vite compris que je le mettrais mal à l’aise en insistant pour lui parler hors de la maison, alors je me contentais de l’observer du coin de l’œil quand nos emplois du temps nous faisaient quitter nos lycées en même temps. Il était généralement au centre d’une bande d’amis que je ne connaissais pas. Souriant, tel que je le connaissais depuis toujours, il semblait l’objet de toutes les attentions. Le même petit frère qu’autrefois, sauf qu’à l’évidence, il ne souhaitait pas s’encombrer de moi. À la maison, il ne me parlait plus que pour les banalités d’usages. Il était sans cesse au téléphone ou parti en vadrouille sans me dire où il allait. Il ne fréquentait plus nos amis d’enfance, que je continuais de voir le week-end avec plaisir. Mais sans lui, ce n’était plus pareil. J’avais moins de poids qu’avant, on ne m’écoutait pas vraiment. Je pouvais suivre le mouvement, mais jamais initier une activité. Je me rapprochai alors des élèves de ma classe, avec qui je me sentais à l’aise.
Mon frère devenait de plus en plus populaire, mais il ne ramenait jamais d’amis à la maison. Il adoptait un look de beau gosse, mi-soigné, mi-nonchalant, et passait sa vie dehors. J’étais triste d’être sorti ainsi de sa vie, alors qu’il représentait tant pour moi, mais avec ma nouvelle vie, j’étais plutôt occupé moi aussi. Je ne lui en voulais pas vraiment, jusqu’au jour où je reçus un mail qui ne m’était pas destiné. Visiblement, il essayait de séduire un de ses camarades de classe en se moquant lourdement de son “loser de grand frère qui était capable de rater même un bac pro”. Réaliser que mon frère avait honte de moi depuis un bout de temps et m’utilisait ainsi comme repoussoir pour plaire à ses amis fut un grand choc. Terriblement blessé, je me mis à l’éviter dans un sursaut d’orgueil. Lui crut simplement que je désapprouvais l’ambiguïté des liens qu’il entretenait avec son ami, liens que je mis pourtant longtemps à repérer. À partir de cette période, notre relation devient des plus toxiques.
À suivre…