La colline du silence – VII –

Épisode I / Épisode II / Épisode III / Épisode IV / Épisode V / Épisode VI

Une fois dehors, je marche en pilote automatique, et je me retrouve au bord du lac. Je commence à en faire le tour, une balade de six kilomètres ne sera pas de trop pour digérer la matinée. Son grand déballage m’a chamboulé. Je haïssais ses absences, il me tenait pour responsable de la mort de son amour. Je l’ai retrouvé, il ne montre aucun remord. Je ne sais plus sur quel pied danser alors je commence à courir à petites foulées le long de la promenade. J’essaie de me vider la tête, de faire le tri. J’ai eu ce que je voulais, je comprends ce qu’il a traversé. Toute cette lutte entre lui et moi, c’était juste un dérivatif à son deuil. J’étais un putain de dérivatif, et c’est tout. C’était si facile de s’en prendre au seul qui l’aimait inconditionnellement, qui revenait sitôt qu’il me lançait un bout d’os, qui s’engageait dans chaque conflit pour ne pas perdre le contact.

D’amertume, je m’arrête de courir et je crache sur le bord du chemin. La vague de colère, contenue par la hantise de le voir disparaitre à nouveau déferle enfin. Il s’est expliqué mais pour qui, pour quoi ? Ça n’a pas eu l’air de le soulager. Je ne demandais pas ça. Il ne s’est pas excusé, il s’est encore une fois foutu de moi. Il voulait juste savoir ce que je ferai de cette encombrante histoire. Il n’est pas allé jusqu’à dire que c’était de ma faute, il sait très bien que ce n’est pas le cas, mais il a choisi de ne pas en tenir compte. Plus j’y pense et plus je suis triste devant ce temps perdu. Triste et en colère d’avoir attendu pour rien. Je réalise que je suis parti à sa manière et que je ne sais pas s’il sera resté chez moi ou encore disparu à mon retour. Je ne le verrai peut-être plus. J’hésite entre panique et soulagement. Puis je sprinte, pour le sortir de ma tête. J’aurai tout le temps d’y penser plus tard.

Le tour du lac fini, en arrivant à l’embranchement me permettant de rentrer chez moi, j’entends crier “Cours, Forest, Cours !”. Il est là, sous un saule, et tape dans ses mains en riant. Je n’arrête pas ma course et lui fonce dessus, je ne supporte plus de voir ce sourire benêt sur son visage de mannequin. Je le percute et lui colle un coup de poing dans le sternum. Il perd l’équilibre, je le pousse plus violemment et m’assure qu’il tombe. Puis je m’assieds sur son ventre et ses bras, et je hurle en lui frappant le torse. Quand il a l’idée de se débattre, je roule sur le coté, m’éloigne à quatre pattes puis me relève. Je lui dis alors ce que je rumine depuis une heure. “Tu n’es qu’un égoïste, tu as cru que je serai toujours là pour tes mises en scène mesquines et cruelles. Je ne suis pas ton défouloir. Si c’est tout ce que tu as à me proposer, si ça t’amuse de te payer ma gueule, je n’ai pas besoin de toi. Tu peux disparaitre encore, et pour de bon cette fois”. Je m’apprête à rentrer chez moi, agité de tremblements nerveux ; je me rends compte que je pense ce que je lui ai dit. Je n’ai plus besoin de lui, je ne lui dois rien. Un frère, ça peut tout à fait s’oublier.

Je lui jette un dernier regard avant de partir, son sourire a enfin disparu de sa tête d’ange. Il est en pleurs, assis dans l’herbe sous le saule, les genoux entourés de ses bras et murmure “Pardonne-moi frérot. Pardonne moi”.

Fin.

Série de textes écrits en m’inspirant des déclencheurs, sur le blog de Daniel Davoust

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *